Retour à Caracas. Direction le centre à bord du taxi d’Hugo - un gros 4x4 noir aux vitres légèrement fumées. Fixé à l’une des ventilations de l’habitacle, un petit diffuseur fleure bon la lavande et la maracuja de synthèse.
Hugo a 65 ans. Une chemise blanche impeccable avec col et manchettes amidonnés. Dans la file de dizaines de taxis et de véhicules, Hugo faisait bonne impression. Lisant son journal, installé sur le siège passager, la portière ouverte.
Disponible sans être agressif.
Sa femme l’appelle à mi-chemin. Inquiète. Il ira déjeuner avec elle après avoir déposé un client dans le centre.
Son monologue commence en sortant de l’aéroport. C’est la référence à l’Europe qui le fait embrayer. Une cliente espagnole, qu’il a transportée il y a quelques jours, à qui il a raconté la même histoire. Parce qu’elle ne faisait que vomir et déblatérer sur son pays. Alors il a essayé de lui expliquer. Un peu. Avec ses connaissances. Modestes mais solides.
Il a déroulé cents ans d’histoire de son pays. Le temps d’un trajet. Cents ans d’invasion de gringos qui se sont gavés avec le pétrole et les nombreuses autres richesses. En échange d’une automobile offerte au président en place au début du XXe siècle. Les mecs ont pris tout ce qu’ils pouvaient.
Cents ans de dictature. Et de souffrances pour le peuple.
Cents ans pendant lesquels les hommes à la tête de l’État ont tenté, parfois, d’apporter quelque chose à leur pays. Il y en a même un qui a fait construire des autoroutes. Notamment celles de Caracas. Ils s’en sont mis plein les poches aussi.
Mais à quoi bon. Nombre d’entre eux sont morts aujourd’hui.
Cents ans qui mènent à Chavez. D’après Hugo, celui-là est une sorte de réaction épidermique au siècle écoulé.
Il montre un téléphérique du doigt. C’est l’une des choses que Chavez a faites pour son peuple. Offrir aux plus démunis un moyen de transport pour se rendre dans le centre. Il a aussi construit des dizaines de cliniques dans tout le pays pour que le peuple puisse se soigner. Il a lutté contre et vaincu l’analphabétisme au Venezuela. Il a…
La place Altamira est en vue.
Il vit dans un pays qui se cherche, dit-il. Un pays qui a besoin de progressivement mieux se définir. Et de trouver sa place dans le Monde. Il ne sera plus là pour constater cette évolution. Ces enfants, peut-être. Ces petits-enfants, sans doute.
Il serre le 4x4 contre le trottoir. Il plonge la main dans un vide-poches et sort sa carte.
No soy chavista. Soy pro-venezolano.
Un truc hallucinant arrive: une poignée de mains. Un contact physique direct avec un parfait inconnu. Un truc aussi dangereux qu’un AK-47 pointé sur une vitre blindée baissée.
Merci Hugo. Au revoir.