A leur agenda du dernier trimestre de 2011, les socialistes avaient programmé deux conventions nationales dont le but était le même : afficher leur unité. La première, consacrée à l'investiture de François Hollande, le 22 octobre, avait été une réussite. Il n'est pas sûr que la seconde laisse le même souvenir : c'est dans un climat beaucoup moins serein que le PS devait se réunir, samedi 10 décembre, pour investir ses candidats aux législatives.
Déjà minée par les frustrations issues de l'accord électoral scellé entre le PS et les écologistes, cette convention nationale coïncide en effet avec une affaire dont les socialistes se seraient bien passés : l'installation d'une commission d'enquête visant la plus importante de leurs fédérations, celle du Pas-de-Calais, avec en toile de fond un violent affrontement entre Martine Aubry et Arnaud Montebourg.
Deux jours auront suffi pour que les projecteurs se braquent sur le Pas-de-Calais, l'une de ces "fédés" dont les pratiques réputées douteuses ont longtemps été tolérées par la Rue de Solférino. Jeudi 8 décembre, Mme Aubry a donc sévi. En plus de demander à l'ancien ministre Alain Richard d'enquêter sur le fonctionnement de cette fédération, la première secrétaire a décidé de "geler" la candidature de Jean-Pierre Kucheida aux prochaines législatives.
Député et maire de Liévin depuis 1981, cet ancien professeur d'histoire-géographie a été cité comme la pièce centrale d'un supposé "système" de corruption et de financement occulte par un ancien élu socialiste du département, Gérard Dalongeville, lui-même placé sous contrôle judiciaire pour des faits liés à sa gestion d'Hénin-Beaumont, ville dont il a été maire de 2001 à 2009.
"CE N'EST PAS MON STYLE DE JOUER LES JUSTICIERS"
Devant quelques journalistes, mercredi matin, la première secrétaire du parti avait assuré qu'elle n'avait pas l'intention d'"empêcher Jean-Pierre Kucheida de se présenter". En vingt-quatre heures, elle a donc changé d'avis. "Entre-temps, Kucheida a reconnu s'être servi de sa carte bleue de façon douteuse. On est passé de rumeurs à des faits reconnus par l'intéressé lui-même. Ça change tout", expliquait Mme Aubry au Monde, vendredi soir.
Pas question, cependant, de sanctionner M. Kucheida plus lourdement qu'en sursoyant à son investiture, précise Mme Aubry : "Je ne condamne pas les gens avant que la justice ait travaillé. Je respecte la présomption d'innocence. Ce n'est pas mon style de jouer les justiciers." Sous-entendu : pas comme Arnaud Montebourg qui, le 21 novembre, lui avait demandé par écrit de ne pas investir deux députés sortants du Pas-de-Calais : Jean-Pierre Kucheida et Albert Facon, élu à Hénin-Beaumont.
En plus de s'accuser mutuellement d'avoir fait "fuiter" une lettre qui devait rester confidentielle, les deux anciens candidats à la primaire se soupçonnent d'arrière-pensées qui ont fort peu à voir avec le souci de l'intérêt général.
"Comme d'habitude, Arnaud est obsédé par l'idée de faire parler de lui en jouant les chevaliers blancs. La réalité, c'est qu'il voulait libérer une circonscription pour Aquilino Morelle", son directeur de campagne pendant la primaire, assure un proche de Mme Aubry. Faux, rétorque-t-on dans l'entourage de M. Montebourg, lequel refuse de "commenter publiquement" cette affaire. "S'il y en a une qui veut tirer profit de la situation, c'est Martine : elle essaie de montrer qu'elle agit autrement que dans les Bouches-du-Rhône, où elle avait délibérément ignoré les preuves apportées par Arnaud sur le système Guérini."
POUR LANG, "MONTEBOURG EST COMPLÈTEMENT FRAPPÉ"
Dans le camp Montebourg, on suggère aussi que Martine Aubry veut nuire à François Hollande, en lançant une enquête qui va remonter aux années où il était premier secrétaire.
Sous couvert d'anonymat, un proche du candidat socialiste estime que "cette explication n'a pas de sens : qu'Aubry veuille vendre son bilan à la tête du PS, oui, mais ce n'est pas dans son intérêt de plomber la campagne de 'François'". Le candidat socialiste, lui, entend rester soigneusement à l'écart et ne souhaite pas s'exprimer sur cette affaire. Pendant la primaire socialiste, M. Kucheida lui avait apporté son soutien.
L'affaire pourrait n'être que le énième affrontement de deux personnalités qui ont fait de la rénovation du parti l'un de leurs principaux combats. Mais dans sa lettre à Martine Aubry, Arnaud Montebourg vise aussi Jack Lang, dont la présence dans le Pas-de-Calais "n'est qu'un des tristes symptômes" des "complicités" dont "jouit au plan national" le "système de la corruption des élus" de ce département.
"Montebourg est complètement frappé", indiquait au Monde l'ancien ministre de la culture vendredi soir, après avoir annoncé qu'il porterait plainte contre lui. Pour M. Lang, "le chevalier blanc n'est pas si blanc : il voudrait servir Sarkozy qu'il ne s'y prendrait pas autrement".
Thomas Wieder