Il n’y a pas de café.
Tom, le pote de Marilou, picore son enpanada. Vingt-quatre ans, peau mate, cheveux bruns épais. Chacun de ses gestes est délicat. Il ne croque pas, il déchire un petit bout qu’il glisse dans sa bouche.
Pareil pour le lait. Difficile à trouver.
Deux étages plus bas, au rez-de-chaussée, le marché a une gueule de dimanche matin. Vêtements souples et confortables, ménagères qui soupèsent les légumes, reniflent les ananas ou tripotent les tomates.
Ce que fait le gouvernement: nationaliser, arbitrairement, une production. Décider qu’une denrée sera produite et contrôlée par l’état. Pour produire une denrée, il faut que l’usine appartienne à l’état. Pour ce faire, il y a une méthode infaillible: les militaires. Choisir une usine, si possible bien équipée et en parfait état, envoyer l’armée pour déloger tout le monde de force, sans contre partie financière ou matérielle, et en prendre possession. Le problème, outre la violence abjecte de la méthode? La quantité produite est nettement insuffisante pour subvenir aux besoins de la population.
En contre bas, les énormes carottes attirent l’oeil. Couleur qui pète. Les ananas parfument le marché couvert, leur parfum se mêle à celui des olives.
D’autres entreprises sont libres de produire du café. Mais c’est là qu’intervient la deuxième partie de la politique: le contrôle par l’état. Celui-ci impose un prix pour le café. Fixe, invariable. À tous ceux, produisant sur le territoire, qui veulent en vendre. Les boîtes non-nationalisées parviennent à produire du café jusqu’au moment où tout est trop cher. Car matières premières et machines ont des prix qui augmentent sans cesse. Alors ces entreprises, implantées dans le pays, finissent par plier boutique. Seule reste la possibilité de l’importation. Et un produit importé coûte cher.
Il picore lentement. Il parle à son enpanada.
Parfois, quelques entreprises s’y risquent. Faire venir un produit d’ailleurs. Cher à l’importation, donc cher à la revente, donc peu de chances d’en vendre suffisamment pour être rentable. Il arrive donc, régulièrement, qu’aucune société ne se risque à importer.
C’est Berto qui complétera l’histoire de Tom quelques jours plus tard.
Quand un produit comme le café ou le lait, lui aussi nationalisé, n’est plus importé, il y a un phénomène de marché noir qui se développe. C’est à dire une importation illégale, doublée d’une revente illégale. Comme la came. Dans les quartiers populaires, tu peux voir des mecs calés contre un mur. Ils attendent leur clientèle: des mères de famille. À qui ils refourguent lait et café à des tarifs exorbitants.
Berto a la quarantaine. Petit et sec. Il pianote trois cents fois sur son BlackBerry, peste deux cent cinquante contre ce truc qui est una mieeerda.
Il y a quelques années, j’avais une femme de ménage. À intervalles réguliers, elle ne voulait pas que je la paye. Elle préférait que j’aille faire des courses au supermarché pour elle. Parce que, même importés, les produits étaient bien trop chers pour elle.
Dans un supermarché, au rayon huile d’olive, la plus représentée s’appelle El gallo. Délicieuse, elle vient du Portugal. Rayon fromages, il y a de la mozzarella et du gorgonzola. D’Italie. Du queso manchego d’Espagne. Un fromage au goût fort, un truc qui se savoure un simple bout de pain, le cul posé sur un caillou.
Dans le marché couvert de Chacao, Tom finit son petit déjeuner de champion. Il s’essuye le coin des lèvres avec le papier.
En instaurant des règles pour aider son peuple, ce gouvernement a fait exactement le contraire: l’empêcher d’accéder à des produits simples, de première nécessité. Et réduire considérablement l’offre disponible.
Il jette la boule de papier dans une poubelle à proximité.
Mais le problème se pose pour tout. Fruits et légumes sont aussi d’importation pour la plupart. Comme tout ce qu’on voit sur les étals de ce marché.
Il suçote une dernière fois sur la paille plantée dans son jus d’ananas. Puis jette le gobelet.
On continue la ballade?