J’ai eu la chance de vivre mes premières 24 premières années avec mémé Françoise ma grand-mère maternelle. A cette époque c’était habituel que plusieurs générations vivent sous le même toit. Même si des conflits existaient les anciens n’étaient pas abandonnés dans une maison de retraite ou un hospice. Notre grand-mère, née en 1877 a connu une évolution inimaginable et on aimait beaucoup lui faire parler de sa vie, de la vie dans les fermes à la fin des années 1900.
Mon père, dans les années 80 avait écrit l’histoire de notre famille, de quoi faire un sacré arbre généalogique; il était le dernier d’une fratrie de 14 et les aïeuls étaient nombreux. A la fin il avait consigné ce qu’il avait retenu des dires de sa mère quand elle parlait de sa vie à la ferme de La Rivière située à environ 3 km de la Ferme en Bourgogne également au bord de l’Arroux. C’est un tableau réel de la vie campagnarde, des tranches de vie ni romancées ni noircies, ce qui en fait un témoignage d’autant plus véridique. Je vous les livre pêle-mêle, un peu succinctes, comme mon père les a rapportées, comme Françoise nous les racontait parfois,même si on n’y prêtait pas grande attention.
La communauté
La famille de mémé Françoise vivait en grande communauté sur la ferme de la Rivière. Il y avait son grand-père Jean et sa femme Françoise, qui était sa marraine, oncle François et sa femme, tante Francine, Jean-marie, qui à ce moment était enfant, le père B et sa femme, Eugénie et Mimie; il y avait bien sûr son père Jean,sa mère, son frère Jean et sa soeur Maria, sans compter un ou deux domestiques. Voyez la promiscuité dans laquelle tout le monde vivait quand on sait qu’ils ne disposaient que trois pièces, assez grandes il est vrai. Il y avait des lits partout; bonjour l’intimité. Voyez également la tablée. ils tuaient 3 cochons de plus de 300 kg. Il n’était pas question d’aller chez le boucher, si, pour les fêtes où ils achetaient du pot au feu. Les enfants étaient toujours servis les derniers. Certains n’avaient pas de grosses parts. Malgré tout ils étaient heureux.
Le vieux grand-père avait connu l’invasion des Russes et des Prussiens pendant les guerres napoléoniennes. il avait même été réquisitionné avec un char et 2 boeufs pour emmener du grain jusqu’à Gueugnon ou Digoin, ayant peur de ne jamais revenir.
C’était le grand-père, donc le père de Françoise qui était un peu le chef. C’est lui qui faisait le commerce ,allait aux foires. Un jour il avait livré un lot de cochons, il s’était amusé et avait bu plus que de coutume. Il était rentré très tard, et pris d’un besoin pressant, ne sachant pas trop ce qu’il faisait, il perdit le portefeuille contenant l’argent du lot de porcs. C’était catastrophique pour la communauté. Aussi sont-ils partis à plusieurs, avec de la lumière pour retrouver l’endroit où il s’était arrêté. Ils le retrouvèrent mais l’argent avait disparu. Si bien qu’il dût rembourser à son frère François et au père b la part qui leur revenait. il aimait bien boire le coup; il faut dire qu’à la maison on ne buvait du vin que les dimanches et les jours de fêtes. C’était tout juste si chacun avait un verre. Ils se déplaçaient tour à tour pour aller boire « au bassin » (une espèce de louche) directement dans le seau d’eau tirée du puits
Le travail
Tout le travail se faisait à la main et le charrois avec les boeufs. Tout était très lent. Durant l’été tout le monde était dans les champs. les foins étaient coupés à la faux et retourné avec de petites fourches en bois de noisetier que les hommes ne manquaient pas de mettre en forme dans les haies ou dans les bois. La moisson se faisait à la faucille et les gerbes façonnées à la main. Même si tout le monde était occupé à ce travail cela devait durer assez longtemps car le débit n’était pas grand
Les gerbes de blé se battaient au fléau. Ils attendaient l’hiver pour faire ce travail qui était très pénible. Ensuite le grain était séparé de la balle avec un « van » à main en osier muni de deux poignées.
En 1893 il y eut un été terrible, la récolte de foin avait été nulle. Les hommes coupaient des branches de frêne et autres arbres pour nourrir les animaux. Ils les emmenaient également paître dans les bois. Cet été torride a été suivi d’un hiver très rigoureux. On pouvait traverser l’Arroux, sur la glace, avec les boeufs. Des chênes coupés sur les berges tombaient sur la glace sans la casser. C’est cette année que le chemin de fer d’Etang /A à Digoin a été construit; c’était un événement. Les équipes de terrassiers et ouvriers logeaient dans les fermes.
Le chanvre
La vie était quand même dure, les soirées d’hiver étaient très longues avec peu de lumière. Cela n’empêchait pas les femmes de filer au fuseau la laine et le chanvre. Dans chaque ferme un petit carré de terre bien soigné était réservé à la culture du chanvre. Ce chanvre était « teillé » pendant les soirées d’hiver,et pendu en belles nattes dans la maison ou au grenier. Puis venait dans les beaux jours un homme qu’ils appelaient le « barbançon » qui lui, peignait ce chanvre avec des peignes et cardes spéciales. C’était très dur à faire pour ne pas gagner grand-chose autre que le gîte et le couvert. Après ce passage au peigne il devait y avoir trois fils: les fils longs, les moyens et le petit déchet qui était l’étoupe. Avec les longs fils les femmes se mettaient à filer durant l’hiver suivant en attendant le tisserand. avec son métier manuel il tissait la toile pour draps et même chemises. Tous les habits, chemises d’homme de femmes, pantalons, tabliers, blouses, etc….. étaient confectionnés à la ferme avec du tissu acheté au mètre. Les femmes étaient toutes vêtues de longues blouses et jupons jusqu’à la cheville depuis le plus jeune âge; il ne faisait pas bon montrer son mollet !
Les veillées
A la Rivière se passaient de bonnes veillées devant le feu de cheminée. Le poêle n’existait pour les paysans que dans les histoires. Au moment du teillage du chanvre les voisins venaient à pied bien sûr, donner un coup de main, à charge de revanche. Ils faisaient une petite collation vers 22- 23 heures. Il se trouvait toujours un chanteur dans la bande et la soirée se passait assez gaiement surtout quand il y avait des filles.
Comme à la Rivière on entre de plain-pied, le jour de Noël, les hommes amenaient un gros tronc avec les boeufs jusqu’à la porte et il fallait ensuite tout le monde pour le pousser dans l’âtre. Ce tronc qui brûlait plusieurs jours donnait un air un peu plus festif aux veillées de Noël. Mais c’était très encombrant et ce n’était pas facile de faire bouillir la soupe et faire les « crâpiauds » dans la cheminée.
La couverte
Il y avait aussi la « couverte ». Ce jour-là était le jour des femmes.Elles se réunissaient avec les femmes des fermes des alentours pour confectionner une couverture (pour lit) piquée à la main. De la laine finement cardée était disposée régulièrement entre 2 carrés de tissu (2m par 2m environ) installés, tendus sur un métier spécial. Les piqueuses, disposées autour de ce métier cousaient à petits points ces 2 tissus ensemble en suivant un croquis tracé à la craie. Ce pouvait être une rosace, des arabesques,un quadrillage, etc… Ce travail long et besogneux se déroulait sur une journée.Les discussions allaient bon train. Le soir venu, arrivaient les garçons d’alentours ( qui à cette époque ne manquaient pas ) C’était un des rares divertissements avec la fête locale. Alors au son d’une vielle, d’un accordéon ou d’un harmonica ils se mettaient à danser avec leurs sabots directement sur les dalles de granit. Ce jour-là il y avait un peu de vin.
L’arracheur de dents
Il y avait aussi l’arracheur de dents.Mémé Françoise racontait qu’un jour, alors qu’elle avait environ 16 ans une dent se mit à lui faire mal. Au bout d’un moment, n’y tenant plus, on décida de l’envoyer à St Nizier/ Arroux, chez le père Vaudiau qui possédait une pince à arracher les dents. Sans plus de forme il la fit asseoir et maintenir par deux aides et il lui arracha la dent. Le remède était bien pire que le mal; Elle en a gardé un très mauvais souvenir et n’y est plus jamais retournée
J’espère que ces quelques témoignages vous donneront une petite idée de ce qui se passait dans les fermes vers la fin du 19ème siècle
A bientôt