Quatrième de couverture :
Ce sont deux amis. Juifs tous les deux. L'un Grec, et l'autre Roumain. Nés à un jour d'intervalle, la même année, en 1934.
"On est de son enfance comme on est d'un pays", disait Saint-Exupéry. Mais il y a enfance et enfance. Et la trace qu'elle laisse en chacun de nous est là pour toujours.
L'un, c'est Georges Moustaki, que tout le monde connaît : un enfant d'Alexandrie, une ville heureuse de la Méditerranée, ensoleillée, insouciante, où le mot "intolérance" n'existe pas.
L'autre, c'est Siegfried Meir. Né à Francfort, où son père vivait avec sa famille. Tous arrêtés en 1941. Expédiés à Auschwitz d'abord. Puis trois ans plus tard - Siegfried était seul à ce moment-là - au camp de Mauthausen.
Ils se sont connus dans les années 1950. Puis ils se sont perdus de vue. De loin en loin, ils se retrouvaient. Un jour, Siegfried a raconté à son ami ce qu'avaient été ces années, dont il n'avait jamais parlé à personne. Et Moustaki a consigné son récit, tel qu'il l'avait entendu, sans rien y ajouter, sans rien cacher, sans faire de phrases, dans sa vérité. Dans sa vérité nue.
Et c'est un témoignage qui reste longtemps dans la mémoire.
Extraits :
"Un jour nous nous sommes dit notre âge et nous nous aperçûmes que j'avais juste un jour de plus que lui. (...)
L'amitié et la ressemblance physique faisaient de nous deux frères adoptifs. En découvrant que nos dates de naissance coïncidaient presque, nous eûmes le sentiment d'être jumeaux. Nous nous amusions à le faire croire. J'ignorais que la gémellité avait pour lui un sens très particulier...
Je devins son premier et seul ami. C'était très important pour lui. (...)
Des années après, inexplicablement, il s'est senti en veine de confidence. Il a eu envie de me parler de ce qu'il avait vécu entre sept et onze ans. J'en avais entendu des bribes. Je brûlais d'en savoir davantage, d'imaginer ce que j'aurais vécu si j'avais été son vrai jumeau, né, comme lui, à quelques milliers de kilomètres d'Alexandrie. (...)
Nous nous sommes raconté nos enfances. (...) J'ignorais que j'allais ouvrir une boîte de Pandore..." G. Moustaki
"Je ne me sens toujours pas intégré dans la vie normale. Les camps de concentration m'ont rendu prématurément blasé, m'ont fait perdre tout sentiment violent de peur,
d'amour ou de joie.
Ca m'empêche d'être sociable, de déconner, de rigoler. Je suis toujours sur mes gardes. Ca m'a filé des complexes et ça me dérange. Etre irrité par l'allemand, c'est un truc physique, incontrôlable. J'assimile inconsciemment la langue à la déportation. J'ai même essayé de me lier d'amitié avec un Allemand, sans succès. Un jour, en voiture, j'ai pris des stoppeurs. Ils parlaient l'allemand. Sous le prétexte d'avoir oublié quelque chose et de devoir retourner sur mes pas, je les ai fait descendre de voiture." S. Meir
"Je me demande pourquoi j'ai occulté tant de souvenirs concernant mes parents par exemple. Je ne me souviens d'aucune conversation que j'aurais pu avoir avec ma mère. C'est peut-être une sorte d'amnésie délibérée. Je le regrette parfois. Au même titre que je regrette de ne plus parler l'allemand. Je l'ai vidé de ma mémoire. Ca m'aurait même rendu service. dans mes activités professionnelles par exemple.
Je n'ai pas envie de me rappeler tout ça, je n'en tire aucune satisfaction d'aucune sorte. Quand on voit des gens s'entre-tuer pour un peu de bouffe, on ne peut plus croire en l'être humain. Dans les convois, j'ai vu des gens manger des cadavres, je ne sais pas avec quoi ils les découpaient. Quand tu t'en sors, tu te demandes si c'est vrai. Comme tu ne peux pas admettre que ça a existé, tu as envie d'oublier. Tu as vu Délivrance? Quand j'ai vu ce film, j'ai pensé à la réaction du type qui se fait enculer et qui, par pudeur, pour se persuader que ça n'a pas existé, demande qu'on n'en parle pas. Moi aussi j'ai honte d'avoir vécu ce que j'ai vécu.
Pourtant, j'en parle avec toi. C'est la première fois que ça m'arrive." S. Meir
"N'ayant pas vécu en Allemagne totalitaire ou dans une Europe occupée, ma vision des "cousins germains" ne peut avoir aucun rapport avec celle de Siegfried. Le judaïsme méditerranéen, solaire, épanoui, insouciant, dans lequel j'ai baigné dans mon enfance, m'a préservé aussi bien de l'antisémitisme que de toute tentation sectaire.
J'ai tenté de le convaincre de m'accompagner lors de mes concerts outre-Rhin pour qu'il se fasse - à l'instar de certains déportés - une autre opinion de sa terre natale. Il a toujours refusé. La page n'est pas tournée. Elle ne le sera jamais.
Son besoin, tardif mais irrépressible, de me raconter, de se raconter; son ardeur à m'aider dans ma recherche de témoignages et de documents, pour me permettre de mieux visualiser ce qu'il m'a confié, me fait conclure que même les rescapés des camps de la mort continuent d'être victimes de leurs bourreaux nazis." G. Moustaki
Un beau livre. Un témoignage très émouvant.
Fils du brouillard - Georges Moustaki et Siegfried Meir - Le Livre de Poche n° 15121 -