UN TRAMWAY…
D'APRÈS LA PIÈCE DE TENNESSEE WILLIAMS
"UN TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR
Mise en scène de Krzysztof Warlikowski
Avec Isabelle Huppert, Florence Thomassin et Andrzej Chyra
D’abord un train. Deux rails bien parallèles pour être sûrs de ne pas pouvoir changer de destination en route. La couleur du ciel gommée de partout à travers les vitres de la voiture Dix huit en tête de convoi, et un papier du Monde sur les genoux pour bien garder « la crise » à l’esprit pendant tout le voyage. Le beau bordel des dettes souveraines en Europe, les actifs toxiques, la menace de dégradation du triple A français (Ahahah !!!) Le tout sur un morceau de musique de Kate Bush. 50 words for snow » à fond. Un train à grande vitesse sur une ligne de l’Est, un piano rauque, éraillé… et une voix perchée dans les étoiles prémonitoire avant toute la neige qu’on annonce pour bientôt. La couleur blanche pour recouvrir des couches de cendres vertes des beaux jours passés sur la voie serrée. Blanche… Rappelle-toi. Une « avalanche » hystérique d’une beauté monumentale. La descente aux enfers d’Isabelle Huppert sur la scène de l’Odéon dans la pièce de Tennessee Williams. Isabelle presque nue dans ses beaux habits dessinés par les gens de la grande couture parisienne (Dior™, St Laurent™). Des détails qui ont leur importance dans cette époque bénie de l’économie de marché en rade de bonnes histoires à raconter. Blanche Dubois™ qui avait sauté des planches de Broadway pour atterrir dans les bras de Vivien Leigh en 1951. C’était il y a si longtemps déjà. Marlon Brando et Vivien Leigh devant la caméra d’Elia Kazan. Un truc plutôt sombre tout au bout d’une ligne de transport en commun, dans les bas fonds d’un quartier populaire de la Nouvelle Orléans Un truc sombre avec un tee-shirt blanc au milieu. Cette sorte de mythologie des corps brûlés à coup de projecteurs qui nous revient dans la gueule d’emblée. De la pellicule comme il y n’en reste plus guère aujourd’hui et qui coincerait un peu sur les écrans des téléphones portables saturées de couleurs compressées. Oui, je sais. C’est un peu l’âge aussi. Les vents de travers qui m’emmêlent les cheveux. Toute cette grisaille dans l’air qui nous incombe les jours de nuit. Andrzej Chyra (l’acteur, mais aussi le scénariste de « Melancholia » de Lars Von trier). Andrzej Chyra (le fameux Stanley Kowalski) sur la scène au ralenti pour son premier grand rôle au théâtre. Le célèbre maillot de corps de Brando/Kowalski vu sous toutes les coutures comme une partie du décor de salle de bain perché dans un couloir mobile/morbide transparent au dessus d’un bowling épuisant… Une bousculade terrible dans le jeu des idées toutes faites. Un carambolage infernal dans la matière théâtrale et une scène d’amour amplifiée qui pèse lourd sous nos écrans de fumée. Une des plus belles scènes de toute l’histoire du théâtre, je vous assure ! Ce « Salomé » psalmodié comme une récurrence poétique vertigineuse plaquée sur quelques notes de piano dans la forme d’un exercice de respiration. Simple, extatique, évident. « Juste une vibration » aurait dit John Cage. Stella (Pas la marque de bière dégueulasse…) Cette Stella jouée par Florence Thomassin, qu’aucun public n’aura jamais vu aussi « belle » que ça. L’ex danseuse nue à l’Alcazar, une sculpteuse dans sa « vraie » vie. « Un long dimanche de fiançailles » de Jean Pierre jeunet ou encore « Dobermann » de Jan Kounen… Une carrière modeste au cinéma qu’on est bien obligé d’oublier dans ce rôle-là.
« Salomé » l’héroïne de Matthieu, à poil sur les planches de l’Odéon, qui réclame la tête de St Jean Baptiste depuis un plumard réfléchi en vidéo... « Salomé » sous le plafond repeint par André Masson, fille d'Hérodiade, à la hauteur des bogies d’un Tramway bien aiguillé sur la scène d’un grand théâtre à l’italienne du 6e. Je vous assure qu’il fallait voir ça !...
- Et après ?
- Après, rien ! Juste cette couche d’humidité sordide et l’odeur d’une lumière blafarde dans les rangs. Pas de quoi motiver les troupes pour sortir du peloton avant la pancarte. Le dernier métro après ce voyage étourdissant en tramway et avant de reprendre le train. Une vraie tragédie.
JLG