Le 14 décembre 1922, à Londres, Virginia Woolf rencontre pour la première fois Vita Sackville-West. Au cours d’un dîner organisé par le critique d’art Clive Bell, époux de Vanessa Stephen, sœur ainée de Virginia.
Crédits photo : Virginia Woolf et Vita Sackville-West
Editions Stock-La Cosmopolite
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EXTRAIT I
« Elles avaient beaucoup de choses en commun, mais elles se séparaient sur davantage de points encore. L’important, toutefois, et cela continuerait à l’être au cours des années à venir, était que chacune d’elles était en possession de quelque chose dont l’autre s’estimait frustrée. Vita enviait la position d’écrivain de Virginia, et Virginia était fascinée et intimidée par Vita en tant que femme. Dans cette femme Virginia allait trouver une mère vigoureuse, et dans l’écrivain Vita allait trouver une enfant qui aurait besoin d’elle. C’était là un début de bon augure […]
À l’époque où elle fit la connaissance de Vita, en décembre 1922, Virginia Woolf avait survécu à trois crises majeures d’aliénation mentale et avait publié trois romans. Elle était âgée de quarante ans et avait atteint, comme écrivain, le stade de la notoriété, mais elle n’avait pas encore obtenu de succès commercial. Alors que, dès 1922, Vita avait déjà publié plusieurs volumes de poésie et de fiction et était un auteur à la réputation bien assise. Âgée de trente ans, elle était de dix années la cadette de Virginia.
Le lendemain de leur première rencontre le 14 décembre, Virginia nota dans son journal qu’elle avait fait la connaissance de « la belle aristocrate Sackville-West… Pas tellement à mon goût le plus strict… elle a la souple aisance de l’aristocratie, mais pas l’esprit de l’artiste. Elle écrit 15 pages par jour – vient d’achever un nouveau livre ― est publiée chez Heinemann ― connaît tout le monde ― mais pourrai-je jamais la connaître ? »
Vita Sackville-West/Virginia Woolf, Correspondance, Nouveau Cabinet Cosmopolite, Stock, 1985, pp. 28-29 ; 36.
EXTRAIT II
« Elles n’en vinrent jamais à se démasquer réciproquement, mais elles s’inventèrent l’une l’autre. Ces deux femmes étaient des écrivains professionnels. Chacune attribua à l’autre, et à soi-même, un rôle théâtral. Virginia posait les règles et Vita en rajoutait. Vita était la mère, Virginia l’enfant. Virginia était le feu follet, la malade, la vierge fragile, la « gosse des rues », la « mioche », la puritaine, l’intellectuelle à l’œil acéré et « aux amis intelligents », l’oratrice, le bel esprit. Vita était la voyageuse aventureuse, fortunée, souple, luxueuse, haute en couleur, ténébreuse, fruitée, enflammée, passionnée, mais aussi, l’« âne », l’imbécile. Virginia avait la tête, Vita avait les jambes.
Leur intimité naquit de ces personnages caricaturaux qu’elles imaginèrent l’une pour l’autre. Mais les malentendus furent nombreux. De toutes ses amitiés intimes, c’est avec Vita que Virginia comprit combien nous savons peu des gens dont nous sommes les plus proches :
Je suis si ordonnée, n’est-ce pas ? Je voudrais que vous puissiez vivre dans mon cerveau pendant une semaine. Il est balayé par les vagues d’émotion les plus violentes. À quel propos ? Je ne sais pas. Cela commence au réveil, et je ne sais jamais à quoi m’attendre : serai-je heureuse ? Serai-je malheureuse ? J’admets que je conserve une activité mécanique pour les mains, je compose des pages à imprimer, je commande le dîner. Sans cela, je ruminerais sans cesse. Et vous pensez que tout est fixé et réglé. Ne connaissons-nous donc personne ? Seulement nos propres versions des gens, qui ne sont sans doute que des émanations de notre propre personnalité. (Virginia Woolf à Vita Sackville-West, 01-05-1926)
Ce texte est l’un des plus révélateurs qu’elle ait jamais adressé à quiconque ; elle y affirme l’impossibilité de toute intimité.
Hermione Lee, Virginia Woolf ou l’aventure intérieure, biographie, Éditions Autrement Littératures, 2000, pp. 640-641.
VIRGINIA WOOLF
■ Virginia Woolf
sur Terres de femmes ▼
→ 25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
→ 21 décembre 1917 | Lettre de Lytton Strachey à Virginia Woolf
→ 18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
→ 5 mai 1927 | Virginia Woolf, La Promenade au phare
→ 11 septembre 1940 | Virginia Woolf, Journal d'un écrivain
→ 28 mars 1941 | Mort de Virginia Woolf
→ 21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
→ Flush (note de lecture)
→ Sombrer dans le bleu (note de lecture sur Le temps passe)
→ Virginia, lectures croisées
■ Voir | écouter aussi ▼
→ la voix de Virginia Woolf => ICI (document BBC Four du 29 avril 1937). Document d'archives également accessible sur YouTube
→ (sur YouTube) Patti Smith lisant des extraits de The Waves de Virginia Woolf, accompagnée au piano par sa fille Jesse (soirée du 28 mars 2008 à la Fondation Cartier, jour-anniversaire de la mort de Virginia Woolf)
VITA SACKVILLE-WEST
Source
■ Vita Sackville-West
sur Terres de femmes ▼
→ 26 juin 1926 | Lettre de Vita Sackville-West à Harold Nicolson
→ 9 février 1927 | Lettre de Vita Sackville-West à Virginia Woolf
→ 21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
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