Voilà que les Esprits me font des surprises.
Imaginez, j’avais laissé notre grand livre de contes sur la table près du canapé où nous nous réunissons d’habitude et près de lui, un autre livre, blanc, sobre, avec sur la couverture quelques fleurs bleues et un lutin.
Un livre qui m’avait été offert aux pieds de la Tour St Jacques alors que les arbres laissaient voir leurs dernières fleurs. Il m’avait été donné avec ces mots :
« S’il ne te plaît pas, tu me le rends ! »
Le rendre ? quelle idée ? je savais qu’il me plairait et j’avais raison.
J’aime à le feuilleter lorsque j’ai quelques minutes, il me tient agréablement compagnie et me délasse des soucis de la vie quotidienne, car c’est un livre magique.
Oui, magique !
Magique de la vraie magie des vrais magiciens et des enchanteurs qui vivent dans des forêts merveilleuses où poussent plein d’arbres, de toutes les essences. Des arbres, magiciens eux-mêmes et qui sont capables d’envoûter l’esprit le plus réfractaire.
Voilà que les Esprits tournent autour de lui, le renifle, le font bouger de la patte, semblent apprécier son contact, l’un d’eux se met même à le lécher. Ils sont conquis.
« Les Esprits auraient-ils donc appris à lire ?
Perçoivent-ils ce qui émane d’un livre, même fermé ? »
J’en suis à me poser la question alors qu’ils s’installent et que, délibérément, l’un d’entre eux se couche sur le grand livre et m’indique de la patte d’ouvrir le petit qui retient ce soir toute leur attention.
Mahomet préféra couper sa manche plutôt que de réveiller sa chatte endormie, je n’allais pas, moi, déranger l’Esprit pour récupérer le livre consacré de nos voyages dans l’imaginaire. J’ai beau ne pas être une « bien pensante », je n’en suis pas rendue à cet affront impardonnable qui me vaudrait d’ailleurs les foudres de la déesse Bastet.
Alors, suivant le chemin de nos songes, j’ouvre le livre au hasard, page 80 :
« L’écrivain et son chef d’œuvre » et je me mets à lire :
« L’écrivain assis dans la chapelle, réfléchissait. Ses pensées l’avaient emporté bien loin mais ses yeux parcouraient le décor, se posant, plus longuement, ici ou là, en quête d’un objet à décrire. »
Frémissements, vibrisses en éveil, les regards contemplent un tableau qui m’est invisible dans l’espace environnant, vaguement troublée je poursuis ma lecture :
« Il était à court d’inspiration, comme devant une page blanche. Il savait qu’il lui faudrait se présenter devant le roi, le soir venu, avec une nouvelle histoire… »
Les Esprits s’agitent, ils palpitent, je sais qu’ils veulent venir en aide à l’écrivain,
lui trouver quelque chose à décrire.
C’est alors que l’Esprit couché sur le grand livre, mû par une idée, se lève d’un bond, fait tomber le livre sur mes genoux, il s’ouvre et me révèle un texte du même auteur qui parle de Noël, de neige et de géants.
« La voilà l’histoire à raconter » semblent me dirent les regards ravis des Esprits solidaires, le roi sera content ! »
« Vous êtes bien gentils, leur dis-je, j’apprécie votre sollicitude, mais vous pourriez au moins écouter la fin de l’histoire de l’écrivain et de son chef d’œuvre avant d’aller en chercher une nouvelle.
Peut-être qu’il l’a trouvée son histoire à raconter au roi !
Peut-être qu’il a lu les Mille et une nuits, peut-être qu’il a rencontré Shéhérazade.
Comment voulez-vous le savoir, si vous ne me laissez pas finir ! »
Les Esprits se tassent, contrits.
L’un d’eux me regarde de ses grands yeux humides :
« Tu nous en veux ? »
« Mais non je ne vous en veux pas, vous êtes pardonnés Esprits impulsifs qui enchantez mes soirs, promis, je vous raconterai la fin à Noël. »
Explosion de tendresse, ils se frottent, déposent tout l’excédent de leurs fourrures sur mon pantalon noir en ronronnant, quelques poils volent jusqu’à mon nez, j’éternue, je suis aux anges !
Et vous qui me lisez, si vous voulez la connaître la fin de l’histoire, si vous aimez la magie, les forêt enchantées, les lutins bleus, les lutins roses, « couleur très salissante » s’il en est, je vous conseille de vous procurer le petit livre :
« Paraboles, Contes du lutin bleu » de notre amie Quichottine.
C’est Noël après tout, pourquoi ne mettriez-vous pas quelques lutins au pied de votre sapin ? à moins que vous ne préfériez la période de la galette des rois, pour connaître le chef d’œuvre de l’écrivain…
Ensongez-vous, la nuit y est propice.
Adamante