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Max | Le Coq du clocher

Publié le 18 décembre 2011 par Aragon

coq doré.jpgIl était une fois dans un village réel, un vrai village d’une vraie région d’un vrai pays, un petit garçon qui vivait dans une maison entouré de toute sa famille, de ses frères, de ses sœurs, de tantes, d’oncles, de grands-parents.

Le village était un peu bizarre car il manquait quelque chose dans le cœur de chacun des habitants mais ça ne faisait rien car les habitants vivaient entre eux et personne ne remarquait rien, enfin, il est plus exact de dire que personne ne faisait jamais la moindre réflexion sur rien ni sur personne. On dit, et c’est la formule consacrée que personne ne se mêlait jamais des affaires de personne et personne ne critiquait personne sur des singularités qui auraient pu paraître étonnantes pour des gens d’un autre village visitant ce village, qui auraient pu formuler un étonnement, une surprise, une inquiétude même, quant à ce qu’ils auraient pu voir. Personne ne venait jamais dans ce village et c’était très bien…

Les champs étaient labourés et semés, les artisans travaillaient en chantant, ils buvaient aussi dans les nombreuses auberges de ce village, le curé disait ses messes, l’instituteur disait son école, le maire disait des mensonges de maire en disant que c’était un village heureux et sans histoires, un très beau et très tranquille village, sans doute le plus beau du canton, du département, de la région même… Il mentait, mais tout le monde s’en moquait et ne prêtait pas attention aux mensonges du maire qui demandait simplement aux gens de bien voter pour lui la prochaine fois.

Les cheminées fumaient l’hiver, de belles bûches étaient entassées en lignes droites et verticales sous les appentis, les gens marchaient dans les rues, se saluaient, allaient aux marché le lundi, achetaient des œufs et des poulets, échangeaient d’étonnantes et très sincères amabilités. Le coiffeur ne coupait pas les cheveux en quatre, il les coupait tout simplement sans faire d’histoire. Le cantonnier, dont les enfants se moquaient un peu, ramassait à longueur d’année les feuilles mortes ou les papiers sales qui jonchaient les rues, les places. Mais il ne faut pas dire que le village était sale. C’est inexact. C’était un village réel, un vrai joli petit village. Dans ce village habitait donc ce petit garçon qui fut par la suite l’auteur, bien involontaire, de la fin de ce village. Mais commençons par le commencement…

Depuis des temps immémoriaux les gens avaient pris l’habitude d’arracher un ou des morceaux de leurs enfants, n’importe lesquels, à quelque étage qu’il se situa dans l’architecture anatomique de l’enfant. Je rassure tout de suite le lecteur, « ça » ne faisait pas mal. C’était normal, c’était naturel, c’était banal. En plus ça ne saignait même pas et au bout d’un certain temps le morceau arraché repoussait naturellement comme la queue d’un petit lézard gris ou vert. Des fillettes chanceuses se promenaient sans leurs cheveux, d’autres sans leurs oreilles, des petits garçons jouaient aux billes avec une seule main, l’autre ayant été arrachée, certains marchaient à cloche pied, certains étaient énucléés. Les parents arrachaient gentiment de petits morceaux de corps pour un oui, pour un non. Ce petit garçon dont il est question dans cette belle mais curieuse histoire avait eu un jour le zizi arraché par son père, le pied droit arraché par sa mère qui s’était empressée, comme pour se faire pardonner, de lui fourrer dans sa bouche une grosse part de tarte à la groseille. Il jouait, c’était un peu difficile pour lui de faire pipi ou pour traverser "le petit ruisseau aux grenouilles" avec ses copains, mais il y arrivait à force de volonté, il faisait tout comme les autres, il faisait les quatre cents coups, il allait à l'école, au catéchisme, il jouait et il chantait. Il était comme les autres, les enfants se ressemblaient tous.

Ils avaient tous des petits morceaux d’eux-mêmes arrachés par leurs parents qu’ils adoraient, qu’ils respectaient, auxquels ils obéissaient en tremblant. Ce qu’il se passa un jour et qui causa la fin de ce village, qui s’évanouit comme par enchantement - dans l’air -, du jour au lendemain, sans que jamais rien ni personne n’y comprit quelque chose, c’est que ce petit garçon auquel il manquait son petit zizi et son pied droit se mit un jour à éternuer. Mais à éternuer sans s'arrêter. Ses parents étaient inquiets, ils appelèrent le docteur qui arracha trois doigts de la main gauche et le pouce de la main droite de son petit patient. Rien n’y fît, il continuait d’éternuer. De la fumée rose et bleue sortait de sa bouche en fines et légères volutes, une goutte de sang apparut un jour, puis la goutte se fit plus consistante, un matin le sang sortait de sa bouche à gros bouillons. Les parents et le docteur recueillaient ce sang clair dans de jolies petites fioles de fin cristal. Le curé vint voir le petit garçon, il fit quelques belles prières en latin que l’enfant aimait particulièrement puis arracha un petit bout du lobe de l’oreille gauche de l’enfant qui continuait d’éternuer. L’instituteur essaya à son chevet de lui lire de belles poésies. Celle d’Alfred de Vigny que l’enfant adorait : « la Mort du loup »... Le loup vient et s’assied les deux jambes dressées…

 Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.

Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,

Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;

Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.

Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,

Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,

L’instituteur repartit comme le curé, perplexe, ne comprenant pas ce qu’il se passait, il arracha le coude droit de l’enfant, se promettant d’écrire à L’inspecteur d’Académie, comme le curé s’était promis, au presbytère revenu, de faire un petit courrier à l’évêché pour qu’on l’aidât à dénouer ce cas étrange, ce nœud bizarre dans sa paroisse : Un enfant éternuait ! Ça ne s’était jamais passé, jamais au grand jamais aucun enfant n’éternuait.

Un soir l’enfant sortit avec un mouchoir blanc sur son nez pour qu’on ne l’entendit pas. Il fit le tour du village et appela tous ses copains, et les filles et les garçons, il y avait exactement cent quarante-trois enfants dans ce village, en ce temps-là, à ce moment-là. Ce soir-là, tous les enfants montèrent tout en haut du clocher. Qui leur avait dit de faire cette chose bizarre pour des enfants, en pleine nuit, en cet été, cette année-là ? Les plus grands aidaient les plus petits, ceux qui avaient eu les pieds arrachés étaient portés par les valides, ceux qui avaient les yeux arrachés étaient guidés par les voyants. Tous, ils montèrent tous, et prirent tous place sur le coq. Comment firent-ils ? Personne ne l’a jamais su. Ils montèrent donc sur le coq qui était fixé à trente-cinq mètres de hauteur, tout en haut du clocher de cette vieille et belle église de ce charmant petit village. Le petit garçon monta en dernier, il s'installa confortablement sur le cou de l'animal. Il n'éternuait plus. Il jeta son mouchoir blanc dans le vide. Le petit garçon le regarda descendre en corolle, se poser dans un souffle ce qui était normal pour un mouchoir, sur la place du village, trente-cinq mètres plus bas...

Le coq prit vie, grossit alors… gonfla ses plumes, étala ses ailes de cuivre et d’or, il s’envola dans un cocorico avec les enfants sur son dos.

C’est alors que des rats entrèrent dans le village, pénétrèrent dans toutes les maisons. Tuèrent, décapitèrent, mangèrent, rongèrent, boulotèrent tous les habitants, tous les parents sans exception. Même le curé, l’instituteur, le maire en dernier. Celui qui le boulota rota à la fin de ce repas comme jamais rat ne rota de satisfaction par la suite . Puis, suivant les rats, des blaireaux entrèrent dans le village. Ils grattèrent, ils creusèrent, ils firent de grands, de jolis trous. Toutes les maisons basculèrent dans les trous. En une seule nuit cela fut fait c’est vérité !

Les blaireaux tassèrent alors le sol, toute cette terre, ces montagnes de terre avec leurs pattes vaillantes et fortes. Au matin, rien ne paraissait. Des oiseaux par la suite - mais rapidement, sans perdre de temps - semèrent des graines d’herbes avec leurs fientes. Les abeilles firent le reste. Il y eut de l’herbe il y eut des fleurs ; il y eut par la suite de la vie, des oiseaux, des insectes, des vaches et des couleurs dans ce lieu qui avait été un village et que des paysans bien, bien, bien, bien, plus tard appelèrent : le pré fleuri de l’ancien village disparu.


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