L'Gang

Publié le 22 décembre 2011 par Jlk

Rhapsodies panoptiques (17)
…L’autre soir on était là toute la Sainte Famille, le Père indigne, la Mère martyre, le Frère Taulard de la Belle Image et la progéniture One & Two - Dark Lady et Sweet Heart -, plus leurs prétendants légitimes déjà dans les affaires courantes, le Noiraud et l’Irlandais, et v’là que Sweet Heart commence de nous livrer du Top secret sur sa mission du lendemain à la frontière italienne où elle va soumettre une Multinationale bancaire à un Audit spécial sur le blanchiment - mais ça reste entre nous, n’est-ce pas : pas que ça sorte du cercle Antigang…
…T’imagines l’émotion, l’Kid : ta fille légitime se la jouant Carla Ponte, la fille puînée de la femme de ta vie jamais revenue tout à fait du Groupe Afrique, la nièce avérée du Taulard retiré de la militance mais jamais regagné vraiment aux convenances sociales, la sœur de Dark Lady l’enragée à t-shirt guévariste ennemie jurée des ploutocrates – bref notre innocente Bimbo promue au rang de justicière dans la foulée des Ziegler et consorts ; or justement je lui sors le big argumentaire comme quoi le Grand Capital qui se planque en nos murs n’a plus qu’à trembler puisque la voilà qui débarque, cinquante ans après Zorro Ziegler tenté par la Revolucion et se faisant rétorquer par le Che en personne : que non pas, camarade, que la Revolucion tu la feras là-bas, en el Paìs, dans le cerveau du monstre -, voilà ce que je lui dis et notre tendron de ne pas trop savoir si son affreux paternel se paie sa mine ou délire une fois de plus en sa sincérité matoise de vieux fêlé qui lui a dit et répété, comme Lady L. et sa mère l’anar amstellodamoise le lui ont seriné sur tous les airs : que jamais au vieux jamais l’Gang ne les circonviendrait…
...Tu vois ça, l’Kid ? Tu te représentes ? T’as vu maintenant Cardin à Budapest comme j’ai vu Dior à la Rue Arbat. On a vu les apparatchiks l’autre jour dans les rues de Montreux comme Sweet Heart les a vus avec son Darling, de Bangkok à Ourgada, partout métatastés nickel à bagouzes, partout américanisés et nipponisés, multimondialisés comme les traders de Manhattan ou de la City de Zurich : partout chitinisés de roubles et de dinars mais attention les voleurs de vélos : voilà se ponter Sweet Heart par Audit spécial : halte-là ! No pasaran ! Tu vois ça et t’y crois autant que j’y crois : no pasaran ! J’veux dire : en nouvelle donne. Pas tout à fait à la stalinienne. Plus le style du POUM ! Votre volée ne pleurniche même plus sur le spleen des lendemains qui déchantent, et je trouve ça pas mal, même sans avoir lu les reportages d’Orwell vous avez capté deux ou trois choses à propos des méfaits de tous les maximalismes brun ou rouge, bref : Sweet Heart débarque avec son détecteur d’argent sale et ça va craindre chez les banquiers sans visages du Front berlusconien de notre paradis fiscal – et que m’arrive-t-il donc le lendemain de l’autre soir tandis que je vaque en ville : v’là que le Hans bernois m’appelle sur mon Blackberry, salut Kamerad qu’il me fait, il sait que j’ai horreur de cette complicité louche, d’autant qu’il m’est arrivé de l’allumer dans mes écrits pour ses accointances plus que douteuses parfois avec des potentats d’Afrique, il me dit que mon dernier livre est encore meilleur que le précédent, donc là je le sens venir : il va me demander un papier sur le sien que je suis précisément en train de lire, et ça ne manque pas: Kamerad je serais honoré qu’il me fait, et je me glisse in petto mariole que tu es ! mais je lui dis, sans le flatter, que sa Destruction massive me fait mal à l’humanité, que l’auteur sanglote toujours un peu trop comme à l’accoutumée mais que je vais en écrire, promis-juré, s’il cesse enfin de me compromettre dans les lendemains qui déchantent; puis je lui raconte l’épisode de Sweet Heart en Carla Ponte et mes révélations à notre enfant sur le Che et lui, alors le pèlerin des famines nous félicite, Lady L. et moi, pour notre éducation pour ainsi dire léniniste; et le soir même c’est Bona qui m’envoie de ses sombres nouvelles via Facebook, tristes à pleurer, sur ce qui se passe ces jours au Congo, et je ne sais pas que lui dire au cher Négro de mon cœur, juste que je vais lui envoyer Destruction massive de l’affreux Ziegler; sur quoi c’est mon ami Dindo qui me balance un courriel désespéré pour me dire que l'Gang a encore marqué des points contre lui: que plus personne ne veut de ses films que la télé, qu’après son Gauguin son Vivaldi prouve que lui-même est resté le pur et dur qu’il a toujours été, comme je n’en ai jamais douté, pas plus que de son caractère de castapiane mal léché; enfin ce qu’il me dit de tout privé achève de me désoler pour cet invétéré Don Juan dont les groupies se font aussi rares que les cheveux sur nos nobles frontons – tu m’suis Kiddy ? …
…Toi qu’es une partie de mon Antigang, l’Kid, je vais te raconter en exclusivité un rêve que j’ai fait la nuit dernière, auquel je resonge ce soir en me demandant, une fois de plus, par quelles voies se construit tout cet onirique cinéma ? J’te jure que je n’invente rien. J’te jure que j’ai tout noté ce matin comme je l’ai rêvé, à la lettre près. Donc voilà que, dans ce songe absolument étranger à mes cogitations ordinaires, je me retrouve d’abord aventuré sur l’espèce de grille de ce qui me semble un monte-charge à découvert, qui se met en effet à descendre à travers le haut immeuble (il me semble que je suis parti de la terrasse supérieure des anciens bâtiments de l’Uniprix, à l’avenue du Théâtre). Or on parcourt de nombreux étages et je me retrouve, non sans angoisse, face à un vaste espace genre atelier d’industrie dans lequel deux grands types me font mauvaise figure au premier regard. Qu’ai-je donc à foutre en ces lieux, de quel droit, avec quel Autorisation officielle ? Que ça ne se passera pas comme ça ! Mais tout de suite je me fais amical et félicitant, remarquant que l’endroit se trouve manifestement en de bonnes mains, que cela fleure le fer travailleur et qu’on sent immédiatement la compétence. Les deux lascars se radoucissent alors d’autant et me proposent de me faire visiter les lieux, ne m’épargnant aucun détail technique et méthodique. Deux grands chiens assez joueurs nous accompagnent en sautant comme mus par de naturelles élégances. Je mets certes un certain temps à comprendre où je suis mais je suis intéressé comme par les portulans et les presses d’imprimerie. Mes deux nouveaux amis sont manifestement fiers de leur rôle de gardiens du matériel. Celui-ci est impressionnant de variété et de qualité. Il y a là des machines à caterpillar, un stock important de marbre importé de Chine, des vérins, tout un appareillage utile à la conduite des eaux, toute une réserve de cuivre rutilant, pas mal d’autres fournitures coûteuses. Tout cela pour une construction prochaine. Le site a été occupé longtemps par la firme Tetra Park, qui a fait faillite. À un moment donné, une dame assez belle avec son chien à elle, un lévrier afghan il me semble, surgit et me dit son enthousiasme puis disparaît, les lascars se sont éloignés dans le fond du chantier à ciel ouvert et c’est alors que je rencontre l’Ingénieur à l’air correct. Tempes argentées et parler clair. Me rappelle mon oncle Léo et m’explique le topo. Le site, précise-t-il, a été racheté par une famille américaine milliardaire. Des gens dans les armes et les computers multinationaux. Puis un autre personnage apparaît qui semble comprendre les chiffres défilant sur un écran de la Bourse. Je dis alors à l’ingénieur Correct que notre ami Lemercier va nous expliquer où en sont les affaires. Je me sens enfin concerné par les menées du Gang. Lemercier fait son modeste en invoquant du moins les interstices vacants de la productivité marchande. « Les Américains ont compris qu’il faut parfois ventiler le Capital par un peu de fantaisie ». Il le dit sans ironie mais avec un certain humour qui provoque une moue dubitative de l’Ingénieur, alors que je me sens conforté dans les projets de l’Antigang. Je me sens indéniablement plus en phase avec Lemercier qu’avec Correct. Je sens en lui un messager de mèche qui me dit ceci: que même le Grand Capitall doit ventiler, donc il y a des clairières, donc Heidegger n’a pas tout faux. Bref, Kiddy, cela te paraîtra peut-être torsadé tout ça mais je trouve ce rêve assez valorisant car j’ai toujours été nul en économétrie. Surtout je suis réconforté de voir mes théories sur la Fantaisie - puisque c’est de cela qu’il s’agit - pratiquement et je dirai même poétiquement confirmées dans les conceptions élargies d’une firme familiale WASP aux investissements sûrs. Sur quoi je me suis réveillé avec regret. J’ai constaté qu’il avait encore neigé cette nuit, puis je me suis rendormi tout tranquillement tandis que tu psalmodiait sûrement déjà, là-bas, dans ton studio d’étudiant du Calvaire, genre poète éveillé…

Images: Philip Seelen.