7 La grille de la crèche

Publié le 12 décembre 2011 par Albrecht

Pour raconter autant d’histoires, distribuer autant de symboles sur une surface réduite, Campin a dû structurer le panneau selon une architecture rigoureuse : cette grille de lecture est à la fois dissimulée et apparente, puisque c’est  tout simplement…
…la crèche.

A l’issue de l’analyse, rassemblons tout ce que nous savons désormais,  prenons un peu de recul et saluons l’artiste.

Les quatre bandes verticales

Nous les nommerons, de gauche à droite :

  • la vieille cloison,
  • la porte,
  • la cloison neuve,
  • le chemin.

La vieille cloison

C’est le monde de l’Ancien Testament, mangé aux vers, ouvert aux vents, défoncé par le péché originel, avec dans ses fondations un astre déchu du firmament et, dans la pénombre derrière, deux vieilles religions qui ruminent.

La porte

Les charnières de la porte sont aussi celles de l’Histoire : Marie est celle par qui la Nouvelle Ere advient. Derrière sa blanche silhouette, la porte bat doublement : en haut pour les femmes fidèles, en bas pour les pècheresses.

La cloison neuve

Le Nouveau Testament est une rénovation, une reconstruction de l’ancien édifice, plus solide, mieux protégé. Un dieu naissant, porteur de lumière, s’est matérialisé sur sur le sol. Mais c’est aussi un homme,  fragile comme une bougie.

Le chemin

Le chemin par laquelle la sainte Famille est arrivée, c’est aussi le chemin qui s’offre à tous les voyageurs du nouveau monde : ceux qui croieront, comme Azel, et ceux qui se méfieront, comme Salomé. C’est une campagne humanisée, viabilisée, aménagée : le ruisseau est canalisé, le bas-côté stabilisé, il y a même un hôpital. Bien sûr, dans ce monde imparfait, certains arbres pousseront droits naturellement ; d’autres seront malades, il faudra les tailler.

Le registre du haut

Les bandes verticales ne s’arrêtent pas à la crèche : elles découpent aussi le paysage, au dessus du toit, en quatre cases significatives. Quatre niveaux d’altitude décroissante, qui retracent le trajet de la Sainte Famille, depuis le col jusqu’au carrefour de la crèche. Mais aussi quatre degrés croissants de liberté, de commodité de voyage :

  • la montagne sauvage,
  • la citadelle inexpugnable,
  • la ville fortifiée,
  • la mer et la campagne libres.

La montagne

La montagne est au dessus de l’âne, du boeuf et du silex : c’est un monde minéral, escarpé, réservé aux quadrupèdes.  Derrière les rochers aux profils hypothétiques (un juif enturbanné, un faune aux oreilles d’âne ?) le soleil des anciens cultes est en train de s’éteindre, au solstice d’hiver.

La citadelle

La citadelle au dessus de Marie est à son image : inviolable.

La ville

La ville au pied de la citadelle évoque l’Enfant Jésus aux pieds de Marie : la cathédrale, avec sa nef et son transept est d’ailleurs une image de la future croix.

La mer

Comme dans le dernier plan de tout bon film, l’histoire se termine sur un au-delà : la mer libre, et le ciel au-dessus.

Les autres cases

En dessous, dans les cases restantes se distribuent les trois histoires tissées par l’art de Campin : celle des Hommes de bonne volonté (en bleu clair), celle de la Naissance miraculeuse selon sainte Brigitte (en rose), et celle des Sages-femmes (en bleu foncé).

A cause de la place disproportionnée qu’occupe la crèche, réléguant le paysage dans les marges, la Nativité de Campin a été taxée d’archaïsme. Alors qu’elle obéit en fait à un principe de composition extrêmement original, qui utilise les parties du bâtiment pour inciter à une lecture en quatre colonnes.

Ainsi, de gauche à droite se déroulent, sous le toit de la crèche :

  • le passé de l’Ancien Testament,
  • le présent de la Nativité
  • et le futur du Nouveau Testament.

Tandis qu’en dehors de la crèche, dans la bande du haut et dans la bande de droite,  le paysage et les sages-femmes en habit du XVème siècle baignent dans le présent du peintre.