Comment en est-on arrivé là, dis, comment? A ma main sur le téléphone, et mon corps qui tremble, fébrile, fiévreux. Ce corps que je ne contrôle plus et qui cède, lui, avant tout le reste, tout ce reste que je ne m'autoriserais plus à laisser craquer, malgré les larmes sur mes joues, les coupures dans ma voix, que je maintiens calme, si calme. Impossiblement calme. Mon corps ne m'appartient plus mais c'est pour mieux penser, froidement penser. Penser à cette ligne impossible à établir, à cette communication impossible à établir avec toi. Toi. Toi que je n'appelle plus, par peur de te parler, parce qu'il me faut des jours, parfois des semaines pour m'en remettre, avec ce mélange de tristesse, de culpabilité et de colère dont j'entoure toujours ces moments avec toi. Toi que je cherche sans fin au bout du fil aujourd'hui, frénétiquement, par peur de ne jamais, plus jamais te parler. Toi qui t'es coupé de moi, de nous, du monde. Pour mieux souffrir et pour mieux nous faire souffrir aussi. Même si tu t'en défendra après, car j'ose encore y croire à cet instant qu'il y aura un après. Toi qui dérive depuis si longtemps, si longtemps, je m'en rends compte, là, maintenant. Vraiment. Bien avant que j'ai conscience que ce que je prenais pour une normalité - comment peut-on penser que ce qu'on vit n'est pas la normalité – une fatalité, n'était que le signe, les signes, d'un dysfonctionnement. Parce que c'est quoi sinon dysfonctionnel, moi isolée dans cette chambre noire, froide, la tête appuyée contre la fenêtre, regardant les yeux écarquillés l'infinité sombre de cette nuit de noël, alors qu'en bas ils sont tous réunis dans le halos du poêle, à boire à rire et à lever les yeux de temps à autre vers l'escalier, vaguement inquiets, confus quant à ce que je fais là haut et le trouble qu'ils ont perçu en moi quand après moult tergiversations -non pas aujourd'hui, pas encore – j'ai fini par monter pour essayer vainement de te joindre, de joindre la terre entière avant et après toi en priant très fort pour que tu ne sois pas seul. Pas trop. Et surtout, surtout, que tu ne te sois pas foutu en l'air. Encore.Alors je parle, calmement, à la terre entière, qui n'est pas dupe mais qui donne le change, pour trouver une solution, une piste de solution, pour percer ta solitude que j'imagine, devine, sens, avec le 6ème sens qu'ont les chiens, ces braves chiens, pour leur maitre, avec cette empathie inutile puisque tu es si loin, si loin et que ça fait si longtemps que j'ai fait en sorte qu'on ne puisse plus s'atteindre, pour arrêter de se détruire et pour que le mal que tu te fasses, sans le vouloir, j'espère toujours sans le vouloir, tu le fasses à toi seul. Alors je parle, le corps soulevé de spasmes, ces maudits spasmes qui me rattachent encore à cette partie de moi que tu arrives à toucher. Et mon cerveau tourne à toute vitesse. Plus vite que d'habitude. Plus vite encore que lorsqu'il a fallut faire face à toutes ces situations, toutes ces situations sans nom qu'il a fallut appréhender vite et bien, sans flancher, jamais, car flancher c'est tomber, sombrer, se perdre sans possibilité de retour et que ça non, ça vraiment non, ce n'est pas possible. La petite mécanique qui ne s'arrête jamais est lancée à plein régime et tourne, tourne, méprisante du cœur qui s'est arrêté et du corps qui lâche, mollement, faiblement. Elle pèse le pour, le contre et toutes les possibilités. Elle avance inexorablement. Jusqu'au mur. Voilà. Ce mur tant redouté et que je connais bien. Ce mur qui m'oblige à le franchir de manière irréparable. Et le calme tout à coup qui s'empare de moi puisque la décision, déjà, fait son chemin, comme les autre fois, comme une évidence. Et le corps qui s'appesantit. Et la voix qui se plombe également, usée, fatiguée comme clouée au sol. Ce dernier appel que je passe, en en connaissant l'issu. Pour me justifier de quoi? Me dédouaner de quoi? M'entendre dire une millième fois que je n'y suis pour rien et que oui, j'ai fait tout ce que je pouvais, mais qu'on n'empêche pas, non, on n'empêche pas les gens de vivre, ni de mourir, comme ils l'entendent? Et qu'il faut l'accepter? Alors une millième fois je ferme les yeux et je fais semblant. Et j'éteins les lumières derrière moi et je rejoins les autres, le bruit, la vie qui continue, ce soir, surtout ce soir. Et je m'entends dire des mots autours du poêle que je m'efforce de croire. Un peu. Parce que là tout de suite je n'ai plus vraiment la force d'être honnête, avec eux ni avec moi-même et qu'il faut bien aller au plus facile parfois, comme respirer. Voilà, ça passe. C'est passé.Et demain tu m'appelleras, ou pas, et on aura tout oublié ou fait semblant d'oublier. Parce que me mettre en colère ne sert plus à rien, que la nuit est sans fin et que rien ne s'y oppose. Jamais.Non. Rien ne s'y oppose.
Plus rien ne s'oppose à la nuit
Publié le 27 décembre 2011 par CccilComment en est-on arrivé là, dis, comment? A ma main sur le téléphone, et mon corps qui tremble, fébrile, fiévreux. Ce corps que je ne contrôle plus et qui cède, lui, avant tout le reste, tout ce reste que je ne m'autoriserais plus à laisser craquer, malgré les larmes sur mes joues, les coupures dans ma voix, que je maintiens calme, si calme. Impossiblement calme. Mon corps ne m'appartient plus mais c'est pour mieux penser, froidement penser. Penser à cette ligne impossible à établir, à cette communication impossible à établir avec toi. Toi. Toi que je n'appelle plus, par peur de te parler, parce qu'il me faut des jours, parfois des semaines pour m'en remettre, avec ce mélange de tristesse, de culpabilité et de colère dont j'entoure toujours ces moments avec toi. Toi que je cherche sans fin au bout du fil aujourd'hui, frénétiquement, par peur de ne jamais, plus jamais te parler. Toi qui t'es coupé de moi, de nous, du monde. Pour mieux souffrir et pour mieux nous faire souffrir aussi. Même si tu t'en défendra après, car j'ose encore y croire à cet instant qu'il y aura un après. Toi qui dérive depuis si longtemps, si longtemps, je m'en rends compte, là, maintenant. Vraiment. Bien avant que j'ai conscience que ce que je prenais pour une normalité - comment peut-on penser que ce qu'on vit n'est pas la normalité – une fatalité, n'était que le signe, les signes, d'un dysfonctionnement. Parce que c'est quoi sinon dysfonctionnel, moi isolée dans cette chambre noire, froide, la tête appuyée contre la fenêtre, regardant les yeux écarquillés l'infinité sombre de cette nuit de noël, alors qu'en bas ils sont tous réunis dans le halos du poêle, à boire à rire et à lever les yeux de temps à autre vers l'escalier, vaguement inquiets, confus quant à ce que je fais là haut et le trouble qu'ils ont perçu en moi quand après moult tergiversations -non pas aujourd'hui, pas encore – j'ai fini par monter pour essayer vainement de te joindre, de joindre la terre entière avant et après toi en priant très fort pour que tu ne sois pas seul. Pas trop. Et surtout, surtout, que tu ne te sois pas foutu en l'air. Encore.Alors je parle, calmement, à la terre entière, qui n'est pas dupe mais qui donne le change, pour trouver une solution, une piste de solution, pour percer ta solitude que j'imagine, devine, sens, avec le 6ème sens qu'ont les chiens, ces braves chiens, pour leur maitre, avec cette empathie inutile puisque tu es si loin, si loin et que ça fait si longtemps que j'ai fait en sorte qu'on ne puisse plus s'atteindre, pour arrêter de se détruire et pour que le mal que tu te fasses, sans le vouloir, j'espère toujours sans le vouloir, tu le fasses à toi seul. Alors je parle, le corps soulevé de spasmes, ces maudits spasmes qui me rattachent encore à cette partie de moi que tu arrives à toucher. Et mon cerveau tourne à toute vitesse. Plus vite que d'habitude. Plus vite encore que lorsqu'il a fallut faire face à toutes ces situations, toutes ces situations sans nom qu'il a fallut appréhender vite et bien, sans flancher, jamais, car flancher c'est tomber, sombrer, se perdre sans possibilité de retour et que ça non, ça vraiment non, ce n'est pas possible. La petite mécanique qui ne s'arrête jamais est lancée à plein régime et tourne, tourne, méprisante du cœur qui s'est arrêté et du corps qui lâche, mollement, faiblement. Elle pèse le pour, le contre et toutes les possibilités. Elle avance inexorablement. Jusqu'au mur. Voilà. Ce mur tant redouté et que je connais bien. Ce mur qui m'oblige à le franchir de manière irréparable. Et le calme tout à coup qui s'empare de moi puisque la décision, déjà, fait son chemin, comme les autre fois, comme une évidence. Et le corps qui s'appesantit. Et la voix qui se plombe également, usée, fatiguée comme clouée au sol. Ce dernier appel que je passe, en en connaissant l'issu. Pour me justifier de quoi? Me dédouaner de quoi? M'entendre dire une millième fois que je n'y suis pour rien et que oui, j'ai fait tout ce que je pouvais, mais qu'on n'empêche pas, non, on n'empêche pas les gens de vivre, ni de mourir, comme ils l'entendent? Et qu'il faut l'accepter? Alors une millième fois je ferme les yeux et je fais semblant. Et j'éteins les lumières derrière moi et je rejoins les autres, le bruit, la vie qui continue, ce soir, surtout ce soir. Et je m'entends dire des mots autours du poêle que je m'efforce de croire. Un peu. Parce que là tout de suite je n'ai plus vraiment la force d'être honnête, avec eux ni avec moi-même et qu'il faut bien aller au plus facile parfois, comme respirer. Voilà, ça passe. C'est passé.Et demain tu m'appelleras, ou pas, et on aura tout oublié ou fait semblant d'oublier. Parce que me mettre en colère ne sert plus à rien, que la nuit est sans fin et que rien ne s'y oppose. Jamais.Non. Rien ne s'y oppose.