L'année qui s'achève nous laisse, à considérer l'état de la société, du vivre-ensemble, sur un goût d'amertume. Rien ne va plus et on ne sait pas où on va.
Rien ne va plus. Chaque jour apporte une raison supplémentaire de douter de la capacité des dirigeants à diriger. "Dis papa c'est quand qu'on va où ?" chantait Renaud. Le refrain nous revient en mémoire insidieusement. Nos politiques s'agitent comme des pantins désarticulés. Quelle main invisible tire les ficelles ? Rien n'est clair. Tout paraît absurde.
La BCE n'a pas le droit de prêter aux États ? Qu'à cela ne tienne. Elle prête 500 milliards au taux de 1% à des banques (privées), auxquelles, bien entendu, on fera bientôt appel pour prêter aux États, à 3% voire 4 ou 6, parce que, bien entendu encore, entre temps la note des États aura été dégradée.
Ou encore : la BCE prête au FMI, qui prête aux États (et n'imaginez pas que ceci serait sans surcoût). Etc. Cherchez l'erreur.
La crise de 2008 a montré la faillite des dogmes financiers, et des dogmatiseurs aux commandes ? Qu'à cela ne tienne. On prend les mêmes et on recommence, pour résoudre la même crise. Lucas Papadémos, premier ministre grec, ancien vice-président de la BCE, a participé en son temps aux maquillages des comptes de la Grèce. Mario Monti, président du Conseil italien, ancien commissaire européen au Marché intérieur, puis à la Concurrence, devient à partir de 2005 International Advisor pour Goldman Sachs. En Espagne, le tout nouveau ministre de l'économie, Luis de Guindos, est tout simplement l'ancien président de la banque Lehman Brothers pour l'Espagne et le Portugal. Etc. Cherchez l'erreur.
Que faire ? Assister en spectateur marri à cet étrange spectacle sans mot dire ? Le danger est la tacite acceptation sous forme de résignation. On sait où cela a mené dans les années trente. Il y a un devoir de résister. D'autant que, contrepartie de cette financiarisation monopolistique, qui de fait mène le monde, sans qu'on sache où, sans contrôle aucun des peuples, cette financiarisation à l'emporte-pièce nous fait basculer dans un état extrêmement instable d'extrêmes inégalités.
Résister, mais comment ? Ce n'est pas en comptant sur les élections qu'on fera de 2012 une année d'élection ! L'enjeu paraît bien dérisoire "à l'heure où tous les politiques en scène encourent et méritent le discrédit" [Régis Debray].
Ce n'est pas un hasard si, depuis un an, le manifeste de Stéphane Hessel Indignez-vous ! connaît un tel succès, planétaire, près de quatre millions d'exemplaires vendus dans plus de quarante pays, des rassemblements d'indignés de Madrid à New-York, Tunis, Tel Aviv, Homs, Tokyo, Santiago...
Deux réflexions concernant cet "objet" [l'historien Nicolas Offenstadt dans Le Monde à propos de ce petit livre : "Un objet dont se saisit le présent"]. La première sur sa signification. Le texte a été critiqué - pour Boris Cyrulnik par exemple l'indignation a un caractère épidermique et non rationnel - mais le vrai sens d'un texte est plus à chercher du côté du récepteur que de l'émetteur. Si ce texte a à ce point touché les gens, dans tous les pays, c'est qu'il "dit" quelque chose qui les rejoint, est capable de les mettre en mouvement.
L'étonnant justement - c'est ma deuxième réflexion - c'est que ce texte ait été ainsi reçu, avec un tel succès dépassant les frontières, alors que dans sa littéralité il est complètement "daté" : à quelles valeurs fait-il référence ? Aux valeurs du Conseil national de la Résistance :
"... Le motif de base de la Résistance était l'indignation. Nous, vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! [...] Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous, d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux. Quand quelque chose vous indigne comme j'ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé..."
L'indignation a peut-être quelque chose d'émotionnel, mais l'émotion [d'après motion "mouvement"] est justement ce qui met en mouvement : quand quelque chose vous indigne... alors on devient militant, fort et engagé. Et l'engagement, la puissance d'agir appelle la réflexion, l'intelligence, la mobilisation de toutes ses forces.
Et si 2012 était l'année d'élection des indignés...
Je vous souhaite une Bonne Année, d'élection !
Si tu n'espères pas, tu ne rencontreras jamais l'inespéré
[Héraclite, Fragment XXI]