Archives . L’avant-dernière interview du cinéaste, perdue depuis trente ans, a été retrouvée en Suède.
C’est l’hebdomadaire italien l’Espresso, dans son édition du 16 décembre, qui relate la rocambolesque histoire. Le 28 octobre 1975, trois jours avant d’être assassiné, Pier Paolo Pasolini est en Suède, à l’Institut italien de Stockholm puis au Svenska Filminstitutet, devant le gratin de la critique ciné boréale. On décide d’enregistrer la table ronde sous forme d’interview, afin de la diffuser à la radio nationale.
Comme on est encore assez attardé à l’époque dans le domaine de l’obscénité médiatique, la mort du réalisateur et écrivain, au lieu de propulser l’enregistrement sur les ondes, le fait remiser à la cave. En 1981, on se décide à l’exhumer. Las, la radio ne retrouve plus le précieux entretien. Il faudra attendre trente ans pour que, au cours d’une conversation, cette perte soit rappelée à Carl Henrik Svenstedt, le traducteur suédois de Pasolini. Celui-ci est un maniaque (ou un amoureux) de l’archive, et il conserve chez lui des milliers d’heures d’interviews sur bandes. En fouillant, il finit par retrouver son propre enregistrement (on n’entend pas certaines questions, les heurts des mains ou des verres sur la table parsèment la séance) et, comme on n’est pas vraiment avancé en matière de mondialisation, les discussions se font en français, avant de switcher à l’italien, traduit en suédois. L’Espresso a mis le son en ligne en quatre parties : soixante-quinze minutes passionnantes sur le cinéma, la politique, et la météo comparée de Rome et Milan.
Pasolini commence par présenter Salò ou les 120 journées de Sodome : «Dans ce film, le sexe n’est rien d’autre que l’allégorie, la métaphore de la marchandisation des corps effectuée par le pouvoir. Je pense que le consumérisme manipule et violente les corps ni plus ni moins que le nazisme.» Un peu plus tard, un malheureux qui lui demande s’il a abandonné le réalisme se fait rembarrer : «Je ne suis pas d’accord. En Italie, ils ont finalement passé Accatone à la télé, au bout de quinze ans. On s’est rendu compte que ce n’est pas du tout un film réaliste, il est onirique […]. Quand je l’ai fait, je savais que je faisais un film lyrique, je ne dis pas onirique, comme il m’apparaît à présent, mais très lyrique. Ce n’est pas pour rien que j’ai ajouté ce commentaire musical, que je l’ai tourné de cette façon. Puis voilà ce qui est arrivé : le monde réaliste dont j’ai tiré Accatone est tombé, n’existe plus, donc Accatone est le rêve de ce monde-là. […] Mamma Roma est un peu plus réaliste qu’Accatone, peut-être. Il faudrait que je le revoie. Mais il est moins beau, moins réussi.»
Mais ce que l’Espresso a surtout retenu de cet entretien, c’est la «prophétie» marxiste de Pasolini : «Le fascisme consumériste est pire que le classique parce que le clérico-fascisme n’a pas transformé les Italiens de l’intérieur. C’était un Etat totalitaire, mais pas totalisant.»
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