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Ectoplasmes etc.

Publié le 30 décembre 2011 par Lauravanelcoytte

CritiqueEsprit es-tu là ? A Strasbourg, une foisonnante exposition célèbre, avec approximation, l’attrait pour le spiritisme au XIXe siècle.

Par VINCENT NOCE envoyé spécial à Strasbourg


En principe, les esprits auraient dû flotter sur Strasbourg par ces froidures d’hiver. L’idée était captivante, dans une cité qui a partagé les heures intenses de la mystique rhénane, du magnétisme animal, de l’ésotérisme Rose-Croix, du scientisme de Goethe et des théosophies de Schuré ou Steiner.

Mais le surnaturel aime s’entourer de surprises. Les invocations de la mairie n’ont pas dû lui suffire, car la vaste manifestation prévue pour envahir la ville s’est repliée sur le musée d’Art moderne, au risque de l’étouffer. Les moyens étaient là, pourtant, alimentés par un budget conséquent, mais les fantômes n’ont pas jugé le Muséum d’histoire naturelle propre à les recevoir. Aussi bien, les visiteurs ont-ils à affronter trois expositions. Il est vivement conseillé d’y revenir plusieurs fois.

Une partie est réservée aux diableries, dessinées ou gravées, du gothique et de la Renaissance germaniques, signées Baldung Grien, Cranach, Dürer ou Schongauer, qui, en elles-mêmes, valent le détour. Une autre section, qui eût mérité de servir d’introduction plus développée à l’ensemble, porte sur l’émergence d’une science moderne, encore mêlée d’imaginaire.

Tournis. Ainsi, au siècle des Lumières le bien nommé, la maîtrise de l’électricité fait-elle resurgir une ancienne croyance selon laquelle la vie est gouvernée par un fluide universel. Ayant eu la révélation en prédisant le gigantesque incendie de Stockholm, le pasteur dingue Emanuel Swedenborg impressionnait l’Europe par les récits et les images disloqués qu’il rapportait chaque jour de ses périples dans les astres, et de ses entretiens avec les anges. Chassé de Vienne, le docteur Franz-Anton Mesmer faisait fortune à Paris en guérissant l’aristocratie autour d’un «baquet magnétique».

Ces sympathiques pensées ont alimenté l’obsession du XIXe siècle pour les univers parallèles. Les yeux bandés, des adolescentes frémissantes se livraient à la divination devant Balzac et Gautier ébahis, Hugo conversait avec Hannibal tout en cherchant sa fille noyée, des photographes fixaient des revenants sur leurs plaques. Chateaubriand était bien seul à se moquer de ces «sorcelleries célestes». Dans la lignée d’Hoffmann, pratiquement tous les écrivains français ont adhéré à cette magie, ou à tout le moins s’en sont servi pour parfaire leur scénographie - jusqu’à Maupassant et aux maîtres de la «littérature frénétique» anglaise et américaine.

Par la suite, de grands scientifiques tels William Crookes et Pierre Curie parvenaient à mesurer les spectres, des médecins captaient les émanations de la pensée par rayons X, le dangereux savant Cesare Lombroso a même su convaincre des fantômes de lui laisser mouler leur main en plâtre. Ces précieux témoignages de l’au-delà sont toujours visibles à la faculté de médecine de Turin. En art, les apparitions inspiraient l’extase comme l’ascèse. Une frange du symbolisme a basculé dans l’occultisme, relayée au XXe siècle par le surréalisme. Dans une tout autre veine, Kandinsky, Mondrian ou les Arp se sont ressourcés dans un syncrétisme mystique pour fonder l’abstraction, quête d’une perfection cosmique perdue. L’exposition n’est cependant pas allée actualiser la question jusqu’aux sorciers, vampires et loups-garous qui ressortent aujourd’hui de leurs tanières pour s’emparer des esprits adolescents…

Les vents spirites ont toujours soufflé du froid. Outre un énorme travail de dépouillement de la littérature du genre, l’historien Serge Fauchereau a sillonné le nord de l’Europe pour trouver des tableaux méconnus qui rehaussent l’intérêt de son exposition. La récolte, opérée avec Joëlle Pijaudier, directrice du musée, donne le tournis : 200 dessins et photos, 130 peintures, 100 documents, 20 sculptures, venus de 125 collections. Un accent particulier est donné au peintre et compositeur romantique de Lituanie ?iurlionis, qui cherchait une nouvelle religion dans la fusion des arts.

On peut découvrir avec une joie mêlée d’effroi, Isis pressant le sang régénérateur de ses seins, taillée dans le bois par Georges Lacombe, une des chimères qui obsédaient le sculpteur roumain Paciurea ; le démon terrassé que Mikhaïl Vroubel avait saupoudré de bronze ; Horace Vernet faisant galoper la pauvre Lénore, punie pour blasphème, emmenée par un lémure ; les sortilèges de Shakespeare revus par Fuseli et l’artiste aliéné Richard Dadd… Et un beau jeune homme empli d’espoir du symboliste finnois Gallen Kallela (sur lequel Orsay prépare une exposition), peut-être un peu égaré sur sa route.

Chaudron. On est réjoui de l’adoration du dieu phallus par Kubin, mais elle est complètement hors sujet. Les allégories médiévales non plus ne semblent pas à leur place : représenter les saisons, les éléments ou les humeurs des hommes par des moyens imagés, ce n’est pas faire appel aux esprits. De même que les sorcières ne sont pas des spectres, mais des êtres qui ont éprouvé leur condition dans leur chair. Et les alchimistes ne sont pas des magiciens. Les ruines romantiques, les descentes de Faust, les dieux, les saints et les héros, les figures de la mythologie antique, les cultes égyptiens… Le musée a mis trop d’ingrédients dans son chaudron pour qu’on parvienne à en suivre la recette. Davantage qu’une exposition (ou un catalogue), il nous a livré le débordement d’une compilation, avec les approximations inévitables à ce genre, comme d’inclure Klee parmi les adeptes de la théosophie, dont il se gardait. On est surpris d’entendre Serge Fauchereau, dans une conférence à la librairie Kléber, attribuer à Goya une «inclination préromantique pour la sorcellerie et le spiritisme», alors qu’il défendait, tout au contraire, les Lumières contre la superstition et l’intolérance ; ou faire de Mesmer un scientifique, plutôt qu’un charlatan démasqué par l’Académie. Et, encore davantage, de l’entendre conclure par un appel à «ne pas condamner tout ce qu’on ne comprend pas dans ces phénomènes». Décidément, Strasbourg est la proie des esprits.

http://www.liberation.fr/culture/01012380219-ectoplasmes-...


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