Magazine Journal intime

# 74 — “après régularisation de l’exploit”

Publié le 02 janvier 2012 par Didier T.
# 74 — “APRÈS RÉGULARISATION DE L’EXPLOIT”

— “Continue comme ça et tu finiras en prison.”

Cette prophétie chrétiennement proférée et à moi-même adressée, je l’ai entendue à 14 ans... prononcée sur un ton très calme par l’agréable directrice de ce charmant collège où, ‘gratuit, laïque et obligatoire’, selon mes conceptions d’alors je perdais une bonne partie de mes journées de 4ème à dessiner la structure du chou-fleur, noter la production annuelle de boxite au Surinam ou je ne sais où, apprendre la date de naissance de va savoir quel blaireau dont tout le monde se tape... et autres bouzeries inutiles de ce “programme” établi par des mecs assurément nés à 6o ans, quand l’ennui m’était solide au quotidien et le temps gâché par les adultes, la norme... la nasse... “yé n’en pé plou”, “come back another day”.

La dirlo, un jour elle m’avait chopé dans un couloir de ce goulag mou de mornasserie médiocre, pour m’asséner cette certitude de sa voix pédagogique de petit flux conventionnel toujours très posé dans la ‘prise en compte des circonstances, n’est-ce pas’, avec cette retenue luisante d’autorité directoriale d’une grosse limace formatée qu’on fuit à la trace, et ces manières trop pondérées qui, à l’époque, me donnait tant envie de lui faire enfoncer un cactus dans l’anus par un mec atteint de la tremblotte et à qui l’on aurait fait avaler une demi-bouteille de mauvais bourbon avant de lui bander les yeux —malheureusement tant pour l’édification de mes 14 ans que pour les sensations intenses de la directrice, l’occasion du cactus intergénérationnel ne s’est pas présentée, sauf en fantasmagorie bien réaliste —panavision, dolby stéréo, “play it again, Sam”. L’adolescence est l’âge des grande rêveries... non?

Suite à sa sentence au débotté, je ne lui avais rien répondu... juste regardée bien dans les yeux avec un rictus de Joe Dalton qui tient Lucky Luke en ligne de mire. La dirlo du collège me faisait penser à l’instit’ de CE1, qui avait dit à ma mère: “lui... il sera soit tout bon, soit tout mauvais.”

Elle n’aimait pas trop le tinageur de petit bassin frilance que j’étais alors, la mégère assermentée bien dans son rôle de taulière scolaire, on se demande pourquoi tant d’aversion de sa part... elle devait nourrir des préjugés infondés, sûrement, une forme d’antijeunisme primaire, “petit branleur toujours à se payer notre tête et faire ses sales coups en douce”, quelque chose du genre que je rendais bien dans l’antivieillisme primaire, “ah les salauds de profs, tous des fachistes, faut un à un les fumer en place publique, sans pitié”... ouais, la jovialité collégienne à vif en milieu républicain avec fromage et dessert dans leurs exemplaires vies adultes bien rangées en apparence... une histoire que j’ai déjà racontée, d’ailleurs —pas faire doublon.

# 74 — “APRÈS RÉGULARISATION DE L’EXPLOIT”

Neuf ans après la prédiction taulardopédopsychiatrique de cette brave femme responsable de sa triste caserne éducative moisie où j’étais bouclé/baisé tel un ch’tit cornichon pas consentant dans son bocal social en attendant de pouvoir me tirer de toute cette vase en leur mettant au cul au maximum, quand je m’y suis retrouvé et bien comme il faut, en prison, à nouveau victime du fachisme démocratique, plusieurs fois dans mes 9m2 j’ai repensé à la prophétie de cette enseignante qu’à l’époque je considérais comme une garce à chatte cousue au fil de pêche... alors que vu de maintenant, je me dis que dans sa vie privée cette dame devait dans son comportement pas mal ressembler à la femme avec qui je vis aujourd’hui —certains soirs de nostalgie juvénile un peu arrosée c’est rude à avaler au moment de se glisser dans les draps comme qui dirait conjugaux, hein. C’est la vie, “you can always come back but you can’t come back all the way”, comme chante l’homme du ‘never ending tour’, dans “Mississippi”. Ouais, voilà pas mal d’années que je passe mon temps avec la dirlo de mes 14 ans, en quelque sorte, il me faut bien l’admettre. Et j’aime ça, rogntudjûûûû. C’est un peu déconcertant, quand on y pense en face, quand même. Mais c’est ainsi, je ne peux le nier. Cette immonde salope de dirlo fachiste du collège, si j’avais eu vingt ans de plus au moment des fait, hein, allez savoir ce qu’il aurait pu advenir entre-nous dans le genre ‘coulissage affectueux’ avec carte du MoDem sur la table de nuit et Scénic garé devant la porte, Canon de Pachelboule en sourdine, feu dans la cheminée, mamma mia, coucher avec la dirlo, jamais j’aurais eu l’idée de penser à ça à 14 ans, plutôt crever ou me les couper... et pourtant... je lui rends cette justice et, vu qu’au fond elle n’avait rien à voir avec tout ça, lui présente mes excuses pour mon comportement de tinageur cerné en milieu éducatif... ah, les fachistes dont je fais désormais partie, si je m’en tiens à mes critères collégiens caducs —mornetrouille. Pareil pour tout le monde: on est chacun assez nombreux, à l’intérieur. Ou alors c’est inquiétant.

“Tu finiras en prison.”

Ce matin de février de mes 23 ans, le jour de ma sortie de ratière, ahuri parano à pieds sur le trottoir, je suis rentré dans le premier bistrot, un espèce de “au rendez-vous des sportifs” où tout le monde a regardé avancer vers le zinc ce jeune type très pâle, trop maigre, écœuré, furieux à l’intérieur, avec une barbe de plusieurs mois, un regard je suppose pas très confiant en son prochain, un pantalon délavé pas repassé, une veste élimée aux poignets et aux coudes, un sac de sport dans une main, des souliers vernis pour malgré tout pas trop avoir l’air d’un termaji exfiltré de la banlieue de Bucarest. L’entrée magnifique du héros à la taverne, en somme, le Grand Seigneur de retour à la Cour du bon roy Louis après avoir occis moult infidèles sur la route de Jérusalem, la classe hollywoodienne au PMU du coin, l’arbitre des élégances, ‘born to be alive’, rincé et fauchemane, moins que zéro, calmé pour un moment sur les charmes de l’interlope, affamé de vie, méfiant de tout, “le prochain qui pourra me baiser ce sera pas avant mon lit de mort”, comme un chat qui aurait posé ses coussinets sur la plaque de cuisson au thermostat 6, ah bondieu... ça s’oublie pas.

— “M’sieurs-dames bonjour.”

Pas de réponse. Juste ces regards sur moi, ces conversations qui tardent à reprendre. Évidemment, hein, un client de mon allure qui fait son entrée dans le premier café après la maison d’arrêt... ça incite l’habitué à se poser des questions sur le pourquoi et le comment. Ouais, j’aurais mieux fait de marcher plus longtemps avant de pousser une porte bistrotière. Pas pensé. Tant pis, assumons.

En traversant la salle je suis resté le plus droit possible dans mes loques râpées et j’ai commandé un demi payé avec de la monnaie qui pendant des mois avait someillé au greffe dans une enveloppe en papier kraft sous haute diligence de l’administration compétente et autres rouages qui n’ont peut-être pas tant que ça tort d’obéir aux ordres en y prenant leurs satisfactions au passage, eux... ma première mousse depuis 245 jours et 246 nuits, un petit prélèvement sur les 25o balles qu’il me restait pour ‘rebondir’, comme on dit dans les colloques des spécialistes de la réinsertion —oui mais, rebondir dans quoi? (une sortie de ballon à l’état de semi-clodo ça forme la jeunesse, bien plus que les voyages vaguement humanitaires dans les pays où la population crève la dalle, je vous assure).

Snobant les convives, en savourant mon ‘demi ordinaire’ j’ai repensé à la directrice de mon collège, ses paroles presque dix ans plus tôt... me disant avec un petit sourire désabusionné d’ancien-korrigan un peu esquinté: “si un jour je la recroise, cette pédagogue lénifiante, il faudra que je lui explique la différence sémantique qu’il existe entre ‘finir en’ et ‘passer par’.

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Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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