Une sous-catégorie vient cependant de faire son apparition : celle des « constitutions controversées ». Il faut entendre par là ces constitutions dont on n’accepte pas - de fait - qu’elles constituent des « actes de souveraineté » ni une règle qu’un « Peuple » puisse se donner à soi-même. Bref, il s’agit d’une constitution qui, réserve faite de sa suprématie interne sur des normes internationales, se voit contester sa légitimité même, et ce dans le sérail des officines journalistes et du réseau complexe des faiseurs d’opinion, dont le désaveu se répand surabondamment ensuite sur la terre entière. L’adjectif « controversé », en effet, ne répond pas à une qualification juridique. Il s’agit d’un opprobre moral, qui connaît lui-même des accentuations plus ou moins marquées, comme des manières plus ou moins appuyées de se pincer le nez au voisinage d’une mauvaise odeur. L’AFP, par exemple, reprise ou précédée en cela par nombre d’organes de presse, parle de « constitution très controversée ».
Son sujet ? La constitution socialiste du 27 décembre 1972 de la Corée du Nord, à l’ordre du jour ? Non. Celle de la République islamique d’Iran ? Pas davantage, non plus que celle du Yémen, pour s’arrêter à ce pays qui, malgré la pratique de la charia et les sévères restrictions apportées tant à la liberté de la presse qu’à celle de religion, se voit généreusement qualifié sur le site de notre noble Sénat de « démocratie en chemin ». Ces constitutions-là, pour ne citer qu’elles, n’entrent pas dans la catégorie des constitutions (très) controversées. Celles-là ne troublent le sommeil de personne. Il s’agit de la constitution hongroise, adoptée par le Parlement hongrois par 262 voix pour, 44 contre et une abstention, et qui, malgré cette majorité parlementaire ne serait pas démocratique ni conforme aux “valeurs” européennes.
Les organes de presse qui dénoncent cette « constitution controversée » insistent généralement sur le fait que cette constitution serait l’œuvre d’un « autocrate », qui aurait verrouillé constitutionnellement certains dispositifs étatiques, qu’elle a fait disparaître l’expression « République de Hongrie » pour ne parler que de la Hongrie (affreux), qu’elle a rendu rétroactivement "responsables des crimes communistes" commis jusqu'en 1989 les dirigeants de l'actuel Parti socialiste, c’est-à-dire ex-communiste (quelle idée). A ces griefs, qui servent à introduire d’autres griefs de politique générale, s’ajoute le grief qui tue : la constitution controversée s’attaquerait à la vie privée.
C’est là que l’attention du lecteur catholique devrait être pour le moins titillée. On lit ainsi dans les colonnes du journal Le Monde, d’une information reprise de l’AFP : « La nouvelle Constitution touche également la vie privée en décrétant que l'embryon est un être humain dès le début de la grossesse, ce qui fait peser des craintes sur l'accès des Hongroises à l'avortement. De même, le texte stipule que le mariage ne peut avoir lieu qu'entre un homme et une femme, excluant ainsi les mariages homosexuels ». Le tour de passe-passe est ainsi opéré : Un Etat n’aurait pas le droit de “décréter” – le mot fleure bon l’arbitraire – qu’un embryon est un être humain, ni qu’un mariage ne puisse avoir lieu qu’entre personnes de sexes différents. Tout cela ne serait que vie privée et, au dernier ressort, qu’affaire d’opinion personnelle. Le plus surprenant, d’ailleurs, n’est sans doute pas que ce genre de discours trouve place dans la presse établie, c’est qu’il soit relayé par des journaux catholiques comme La Croix, qui le reprend tel quel dans son édition internet du 2 janvier 2012, sans y apporter la moindre réserve ni la moindre nuance.
Pour mémoire, il sera rappelé que cette « constitution très controversée » comporte cette déclaration : « Nous sommes fiers que notre Roi, Saint-Etienne, ait bâti il y a 1 000 ans l'Etat hongrois sur des fondations solides et ait fait de notre patrie une partie intégrante de l’Europe chrétienne ». Elle ajoute que « la constitution protège le mariage, considéré comme l’union de base la plus naturelle entre un homme et une femme et fondement de la famille » et que « depuis la conception, la vie mérite d’être protégée comme un droit humain fondamental. La vie et la dignité humaine sont inviolables ». Rien que d’affreusement détestable, comme on peut le voir, secundum mundum.
Au-delà des polémiques suscitées par cette affaire, il est permis de se demander si, loin de mettre seulement en relief les éventuels travers des gouvernants hongrois, avérés ou non, elle ne met pas plutôt en lumière, une fois de plus, l'interminable collapsus moral du monde occidental, qui ne peut se retenir d'une haine instinctive à l'égard de tout ce qui le rappelle à son être historique et à la nature des choses.