Mon cher Victor,
La cloche a sonné ! La maîtresse a repris le travail ! Eh oui... J'avoue avoir soupiré un certain nombre de fois dimanche soir à l'idée de
retourner au boulot. Mais bon... Lundi matin, Clotilde, une de mes petites CE2, m'accueillait avec un sourire et un bouquet de jonquilles , et Carine me demandait :
"Vous avez passé de bonnes vacances maîtresses ?". Et là, tout à coup, j'ai eu du plaisir à être dans ma classe, à retrouver leurs questions agaçantes ("Maîîîîîtresse, j'ai plus de
place sur ma page, j'écris où ?", et surtout, à retrouver mon rôle d'enseignante. Tout va pour le mieux alors ! Cela pourrait être pire, c'est sûr
!
Bref. A l'origine, je voulais te raconter une fabuleuse séance de musique que j'ai menée en fin d'après-midi. Fabuleuse ?! Tu es surpris ? Tu doutes
de mes compétences de pédagogue ? Euh... Je plaisante ! Evidemment, cette séance était loin d'être fabuleuse. Disons qu'elle était... Hors du commun.
Ah ? Je m'explique. Nous avons commencé à apprendre "We will rock you", du groupe Queen. L'idée n'est pas de moi, je l'avoue : les collègues
de Cycle 3 la voyant avec leurs élèves, l'instit' de CM1-CM2 m'a donc demandé de faire de même. Bien. Je m'éxécute donc, pleine de frayeur : c'est une chanson difficile (même pour un adulte), qui
demande de chanter vite (et en anglais sivouplé !) et de maîtriser son souffle : c'est qu'il s'agit de ne pas tomber raide mort à la fin du premier couplet ! Bref. Les élèves adorent bien
sûr. D'abord, parce que c'est difficile. C'est qu'ils ont le goût du challenge, mes petiots ! Et puis aussi parce qu'ils connaissent les reprises (mais oui, tu sais, Victor, celle où on
ajoute un "ooooouh" après le "We will rock you" dans le refrain), dont une très célèbre chantée par des enfants dans une publicité que je ne citerai pas.
Bon. Sauf que l'anglais, bien sûr, c'est encore très obscur pour eux, et ils mouraient d'envie de savoir ce dont parle la chanson. Ce qui est tout à fait légitime
! Pourquoi en faire de simples perroquets ?Pourquoi "aïe aïe aïe" ? Je suis bien d'accord. C'est pourquoi je leur ai traduit les
paroles. Bon. Aïe aïe aïe comme on dit. Parce que les paroles ne sont pas gaies-gaies si tu vois ce que je veux dire. Je te passe les détails, mais en gros, c'est l'histoire d'une vie,
d'un petit garçon qui grandit dans la pauvreté et vieillit dans la pauvreté. Mais il n'a pas lutté pour s'en sortir ? Bien sûr que si. C'est bien
pour ça que cette chanson est si... Triste ! Bref. J'ai donc traduit les paroles. Il faut dire qu'ils étaient tous pendus à mes lèvres. Et quand j'ai terminé... Comment dire... Ils
faisaient de ces têtes ! Mais de ces têtes ! Le genre tête-d'enterrement, tu vois... Ah oui... Quand même... Le silence. Complet. Pour une
fois que j'avais la paix sans avoir à le demander...
Et puis finalement, une foule de questions. Et pourquoi il n'a pas réussi à être heureux ? Et pourquoi il a du sang sur le visage ? Mais alors c'est une chanson triste,
Maîtresse ? Et pourquoi il est tout seul ? Et moi, un peu désamparée, et j'ai envie de leur dire "mais c'est la vie, les enfants", et moi qui leur dis, et eux qui ne comprennent
pas... Ils comprendront bien assez tôt, va... Enfin, le plus tard possible, je l'espère pour eux ! Et eux qui restent muets, et moi qui galère pour
les remotiver, et moi qui fais de l'humour, qui rame, qui rame : "Il ne faut pas que ça entame votre pêche !!! Il faut la chanter avec le coeur !". Enfin, un petit sourire d'Astrid :
"C'est pas grave, Maîtresse... Même si elle est triste, elle est quand même bien cette chanson !". Et tout le monde, dans un murmure d'outre-tombe : "Oui, c'est vrai, elle
est trop bien...". Ouf. On se lève, on se met en "position de chanteur", et on y va. Le plaisir de chanter tous ensemble reprend le dessus.