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Notes de voyage au fils de Pénélope (2) Abuja

Publié le 10 janvier 2012 par Stella
Notes de voyage au fils de Pénélope (2) Abuja

Le bâtiment en forme de bateau, judicieusement appelé... Shiphouse.

Abuja, capitale fédérale du Nigeria, est une ville froide. Par certains côtés, elle rappelle Brasilia, ce qui n'est pas étonnant vu qu'elle a été construite, comme la capitale brésilienne, ex nihilo ou presque pour servir de centre administratif et politique et ce, dans les années 1970. Larges avenues, immeubles immenses et modernes, une mosquée carrément délirante qui ressemble à un abri anti-atomique doté de quatre minarets, un stade de foot type Paris ou Montréal, bref du neuf, du conceptuel, du climatisé, du sans-âme.

On est loin de l'ambiance surchauffée des villes du Sud, de Lagos ma favorite, ou de Port-Harcourt, patrie du président Goodluck Jonathan. Du coup, lui aussi ressemble à un transplanté, un greffon esseulé qui frissonne le long des couloirs désespérément vides d'un palais présidentiel trop grand pour lui. Son bon sourire, dont il ne se départait jamais lorsqu'il était gouverneur du Bayelsa, n'apparaît plus que rarement sur son visage fatigué. Son éternel chapeau est toujours là, son aide de camp le lui tend avec empressement dès qu'il est question de sortir, mais on sent bien que le coeur n'y est plus. Il ressemble de plus en plus à un enseignant - ce qu'il est, à l'origine - égaré dans les bureaux très "design" d'une présidence aux allures de rêve mégalomaniaque. Alors que l'un de ses anciens prédécesseurs, Olusegun Obasanjo, entretenait une armée d'assistants qu'il tyrannisait comme des femmes de ménage, Jonathan a l'air de s'excuser de demander à boire. On ne serait pas étonné s'il apportait son stylo vide à l'intendance pour obtenir une cartouche d'encre.

Mais l'apparence n'a rien à voir avec l'intelligence. Là, le prof d'université s'efface devant l'homme politique. Fin connaisseur des peuples du Sud et en particulier de ceux du Delta du Niger, dont il est lui-même issu, il a su avec beaucoup d'adresse calmer le jeu des groupes d'irrédentistes qui sévissaient dans la zone pétrolière. Pour avoir passé toute son enfance dans la région, l'une des plus polluées de la planète, il était bien à même de saisir la colère et l'urgence des revendications émises par les communautés les plus touchées. Il a négocié, promis, donné (un peu) jusqu'à calmer presque totalement la rébellion. Aujourd'hui, ne sévissent plus dans la région que des groupes de bandits de grand chemin, que policiers et militaires pourchassent sans répit. Parce qu'hélas, les militants politiques et écologistes ont fait des émules quant aux méthodes expéditives utilisées pour faire pression sur le pouvoir fédéral.

Le problème qui surgit aujourd'hui sous les pas lourds de Goodluck Jonathan est d'une toute autre qualité. La secte Boko Haram, qui s'emploie à faire des ravages dans le nord du pays, réclame la stricte application de la charia dans une zone qui est déjà majoritairement musulmane et qui applique d'ores et déjà la loi coranique, du moins dans les tribunaux civils et coutumiers. Lourdement armés grâce à la contrebande en provenance de Libye, ils sèment la terreur et attisent les haines inter-religieuses qui n'avaient pas besoin de cela. Inquiet d'une situation qu'il est loin de bien connaître, Goodluck Jonathan n'a trouvé comme premier remède que d'instaurer l'état d'urgence dans tout le nord du pays, soutenu en cela par les caciques de la région, Ibrahim Babangida en tête. Même son ancien adversaire des élection, Muhammadu Buhari, l'approuve in petto. Mais si cette décision lui permet de faire sortir les chars dans les rues des grandes villes, elle ne représente pas une solution durable. Il va falloir négocier et c'est là que le bât blesse : les revendications de ces soi-disant disciples d'Al-Qaeda sont des plus floues. On ne sait même pas qui est leur porte-parole.

Lorsque Goodluck Jonathan regarde par les baies vitrées de son palais, il ne voit que le béton et l'architecture conceptuelle d'une ville qui n'est pas la sienne. Dans la rue - mais il n'y va jamais - on parle les langues de tout le pays, ce qui contribue à donner à l'ensemble un aspect cosmopolite assez original qui lui plairait, mais dont il ne peut profiter. Alors il regarde la télévision, il essaie de "sentir" le climat des régions qu'il ne connaît pas et se désole de son impuissance. Goodluck Jonathan a l'air de ce qu'il est : un homme finalement gentil, poussé à la magistrature suprême par son parti, un Nigérian pur sucre, fier de son grand pays et de cette indépendance farouche qui, par rapport aux pays francophones par exemple, font du Nigeria une nation à nulle autre pareille.


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