L’art français de quoi, déjà ?

Publié le 11 janvier 2012 par Secondflore

Limonov, donc. Limonov ! Je ne sais pas si c’est le meilleur Carrère, de toute façon on n’est pas là pour comparer, mais c’est (encore) une réussite. Avec cet art de s’inviter comme personnage de ses livres, à la fois sans fausse pudeur et tout en retenue, ne se livrant qu’au service de son sujet. Et toujours la simplicité dans le récit, cette façon en quelques mots de faire vivre un type, une soirée, une époque – ici la Russie soviétique puis celle des oligarques, celle des soirées poésie, de l’underground moscovite et des prisons d’Etat.
Je ne m’étends pas. Si vous avez lu du Carrère, vous lirez sans doute celui-la. Si vous n’en avez pas lu, vous en lirez un jour.

Avec le recul, je me dis que c’est un bel hommage, finalement, que lui ont rendu les jurés du Goncourt en l’éliminant de leur dernière liste pour mieux sacrer Alexis Jenni et son titre parfait comme les dés l’avaient pipé dès le départ.
Parce qu’on rigolera bien dans quelques années quand on se rappellera le lauréat – ou plutôt quand on essaiera de se rappeler, dis-donc, au fait, c’était qui, le Goncourt 2011 ?

A propos de Jenni, quand même, un mot. J’ai lu les critiques sur le livre, dès le mois d’août : unanimes. Un chef d’œuvre, un miracle, n’en jetez plus. Maintenant je sais qu’il n’en avaient lu que quelques pages. Là dessus pas grand chose à dire, Gallimard fait bien son job, et les critiques institutionnels ne sont plus à ça près. Ce qui est amusant, c’est de voir que les quelques lecteurs du Jenni sont eux aussi unanimes : des premières pages magistrales (Daguet gambadant aux côtés de Desert Storm, l’image est parfaite), puis un livre ennuyeux, parfois mal écrit, quelques passages bien sentis mais des longueurs à se demander où était l’éditeur, et une construction linéaire qui vous donne comme la permission de quitter le livre à tout moment. En moyenne, les lecteurs ont lâché le livre page 48. J’ai fait comme eux, picorant ensuite, ici et là, avant de l’abandonner définitivement.

Au final, il reste une question toute bête :
peut-on vraiment donner un prix à un livre qu’on ne finit pas ?

(et je ne parle pas des jurés, ce sont des gens importants, ils avaient sans doute autre chose à faire que de lire Jenni jusqu’au bout ; non, je parle simplement des lecteurs)

La réponse n’est pas si simple. Parfois on ne finit pas un livre parce qu’on ne se sent pas à la hauteur : deux fois j’ai commencé Ferdydurke, deux fois j’ai admiré Gombrovicz, deux fois je l’ai rangé avant de le finir. Et un jour, je le sais, je le reprendrai du début. La même chose est peut-être arrivée à des lecteurs des Bienveillantes, ou d’Au-dessus du volcan (que je persiste à trouver illisible, mais j’en connais qui)... Mais un livre qu’on ne finit pas parce qu’il est chiant, hein ?

Allez, bonnes lectures.

 
PS 1 - de toutes les tribunes qui se publient chaque année pour dénoncer les prix littéraires, surprise, cette année il y en avait une de pertinente. Elle était signée Luis de Miranda :

Les prix littéraires tuent car, chaque année, ces manigances élèvent au rang de best-seller une littérature parfois frelatée, sans dimension épique, sans réelle ambition stylistique, créative ou sociétale. Je ne compte plus les lecteurs qui m'avouent, entre la honte et la colère, avoir été déçus par l'achat d'un livre portant la mention "prix Goncourt", "Renaudot", ou autre. Puisque le budget littéraire moyen ne dépasse guère un ou deux livres contemporains par an, nous comprenons en partie pourquoi les éditeurs indépendants vivent une crise sans précédent : les prix littéraires sont en partie responsables du pourrissement du marché, en décevant trop souvent la candeur du lecteur.

 
PS 2 – une heure hier matin dans la salle d’attente du centre des impôts d’un quartier populaire. Une trentaine de personnes. J’étais le seul avec un livre. Pas un roman, pas un journal, pas même un gratuit ou un Voici. Je me suis demandé si mes voisins auraient pris un magazine s’il y en avait eu en vrac sur une table basse, comme chez le coiffeur. Je n’en suis même pas sûr. Prenons-le comme un fait brut : rue Riquet, à Paris, France, les gens préfèrent regarder leurs genoux.