Magazine Nouvelles

Coup franc et remise en jeu

Publié le 04 mars 2008 par Laurent Matignon

Petit laid


Chapitre 29
Ça y est, j’ai de quoi m’occuper pour les jours qui viennent : il faut que j’arrive à être heureux. Autant commencer dès aujourd’hui. Le problème est que je ne sais absolument pas par où commencer.
Je comprends mieux pourquoi c’est un sujet qui semble occuper des vies entières.
Il me vient bien l’idée de me trouver un bon bouquin (pas trop cher) sur le sujet, mais je doute fort que quelqu’un ait pu élaborer une recette qui puisse s’appliquer à mon cas. Je suis bien trop exceptionnellement singulier. Pourquoi ne pas me confier à quelqu'un ? Difficile. Et ridicule. Si encore je situe mon discours sous la ceinture, nul doute que je trouverais de bonnes âmes charitables pour s’abreuver de mes exploits. Mais en ce cas, je risque de passer à côté de ce qui me préoccupe.
Non, ce n’est décidément pas une solution.
Ou alors... Ou alors il me faudrait me confier à quelqu’un qui... Quelqu’un à qui je n’aurais pas besoin de résumer ma vie – et comment y parviendrais-je, d’ailleurs... Quelqu’un qui, comment dit-on déjà ? Oui, c’est bien ça, quelqu’un qui me connaît.

Drôle, ça. Et ça réduit fortement le champ des possibles. Tellement que je ne trouve pas...
Merde.
Il doit bien exister... Quelque part...
Mais oui ! Carine ! Elle est là pour ça ! Enfin, je veux dire, elle elle me connaît (je prie tout un chacun de bien vouloir excuser cet abus de langage, étant entendu que le verbe « connaître » n’a absolument pas sa place ici).
J’ai bien peur cependant qu’elle ne soit pas disposée à m’écouter suite à mon départ tonitruant.
Se faire pardonner. Première étape. Bien des gens se permettent tout et n’importe quoi, et « on leur pardonne ». Eh bien, ça marchera avec moi.

Et pour qu’une femme pardonne, que faut-il, je vous le demande ? De belles paroles, ou mieux un sincère repentir ? Non, pensez-vous. Il lui faut DES FLEURS. Un homme se fait tout pardonner avec des fleurs !
Soit. Allons-y pour des fleurs.
Et ça aura d’autant plus d’effet que je ne lui en ai jamais offert.
Allez, ne regardons pas à la dépense. Soyons fou – et puis, c’est son argent, après tout. Un gros, que dis-je, un énorme bouquet de roses rouges fait toujours son petit effet. N’est ce pas, Madame la fleuriste ? Oh que oui, vous avez raison, elle a bien de la chance de m’avoir, la petite Carine ; si tous les hommes étaient comme moi...
Retour au bercail. Aïe. Subsiste un problème. Mes yeux. Mon regard. Les fleurs disent quelque chose, mes yeux pensent le contraire. Pas bon, ça. Oh, après tout, on connaît la chanson : elle sera tellement surprise qu’elle ne prendra pas la peine de me regarder, trouver un vase sera sa seule raison d’être durant de longues minutes.
Nous y voilà.
Un peu de courage.
Un peu de tenue.
Tiens, je vais sonner (j’ai toujours ses clefs, évidemment), pour soigner mon effet. Je vais même aller jusqu’à masquer ma voix.
Putain. Elle est visiblement encore en train de chialer. Ma foi, je devrais m’en réjouir, tout n’en sera que plus facile pour moi.
Bon.
Jouons franc jeu.
Oui, Carine, c’est moi.
Tu m’ouvres s’il-te-plaît ?
Ouf...
Un moment j’ai bien cru que...
Mais non, ça va, elle n’a pas fait trop de difficultés. Je planque le bouquet derrière mon dos et en avant pour le spectacle !
La porte s’ouvre. Elle a les yeux rouges, tel un lapin albinos après une nuit trop courte ou un ado herbophile indien. Rouges comme mes roses. Oui, ces roses sont pour toi ma chérie. Mais si mais si, je voudrais me faire pardonner pour tout ce que je te fais subir. Tout ce que je t’ai fait subir. Je m’en veux terriblement, tu sais – ouais, bon, gaffe à ne pas trop en faire quand même, restons crédible.
Mais c’est que ça fonctionne à merveille, on dirait ! Voilà qu’elle me saute au cou et qu’elle fourre sauvagement sa langue dans ma bouche. Putain, si je me retenais pas, je crois que la discussion risquerait de tourner court.
N’oublions pas pourquoi je suis ici. Le but de ma visite – le vrai but, s’entend.
Les roses dans un vase. Moi dans le canapé.
On peut discuter maintenant.
Oui Carine, j’ai décidé de tout mettre à plat avec toi. Tu es une fille formidable et parfois j’ai le sentiment que je ne suis pas à la hauteur – va-t-elle vraiment croire ça ? J’ai besoin que tu me dises ce qui ne va pas entre nous, ce qui te rend malheureuse... De manière générale, tout ce que tu as à me reprocher.
Et, ne mens pas, je sais qu’il y a de quoi faire – la réciproque est largement vérifiée, mais ne nous égarons pas.
Elle semble réellement étonnée de m’entendre tenir de tels propos, mais soulagée aussi. Ce qu’elle me confie avec ses mots maladroits. En fait et pour résumer ses premières heures de confessions, elle me trouve trop distant. Elle a l’impression de ne pas compter pour moi – mais qu’est ce qui peut bien lui faire penser ça, je me le demande ! Peut-être parce qu’il ne s’agit aucunement d’une impression ? Elle trouve que notre relation se résume dans une large partie au sexe. Voilà un point sur lequel nous sommes d’accord. La différence étant que cela semble ne pas la contenter.
Elle me demande si je suis satisfait de la vie que nous menons tous les deux. Danger, terrain glissant. Je ne me suis jamais posé la question ainsi. Je n’ai qu’une vie, celle que je mène moi et moi seul. Je n’ai cependant aucun intérêt à lui exposer ce point de vue dans l’immédiat. J’abonde donc dans son sens : non, je ne suis pas satisfait... Mais j’ai la conviction que nous pourrions mener une vie extraordinaire tous les deux. Sans pour autant savoir comment.
Et c’est là où elle intervient.

Et c’est là aussi où je me rends compte que j’aurais dû m’inventer une petite (une énorme) contrariété, qui expliquerait ma manière d’agir avec elle... Du genre, j’ai été déçu par une femme que j’aimais beaucoup, je suis sur la défensive, il me faut du temps...
Ce sera pour une autre fois, je vais y réfléchir.

Je me contente dans l’immédiat de lui dire que j’ai besoin d’elle, que je ne peux pas vivre sans elle, malgré les apparences. Que j’ai conscience de la faire souffrir. Que je suis prêt à changer. Et que pour y parvenir, j’ai besoin qu’elle me guide, qu’elle soit mon Führer, mon Duce vers la lumière de mon âme.
Sûr qu’un psy me reprocherait d’avoir présenté la chose ainsi.
Le début était pourtant prometteur.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Laurent Matignon 148 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Ses derniers articles

Magazines