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Notes de voyage au fils de Pénélope (3) Kano

Publié le 13 janvier 2012 par Stella
Notes de voyage au fils de Pénélope (3) Kano

Kano, mosquée centrale

Kano est, entre terre et soleil, la ville de tous les dangers. Capitale de l'Etat éponyme, deuxième plus grande ville du pays, elle existe depuis mille ans et n'a plus rien à apprendre de personne. Cité-Etat haoussa indépendante fondée vers l'an Mil au confluent de plusieurs route caravanières trans-sahariennes, elle a vu s'échanger entre ses murs toutes les richesses médiévales de l'Afrique : l'or, l'ivoire, le sel et... les esclaves. Islamisée depuis le XIVème siècle, elle est fière de sa magnifique mosquée, dont les parties les plus anciennes datent du XVème siècle. Ousmane Dan Fodio s'en empare dans les années 1800 et, un siècle plus tard, les Anglais mettent fin à son indépendance, comme à tout les émirats de la région. Son influence politique ne reprendra force et vigueur qu'en 1967, lorsque le gouvernement de Yakubu Gowon en fait la capitale de l'un des Etats de la fédération nigériane.

Kano palpite de vie, de bruit et de fureur. Gigantesque marché inter-régional, elle est aussi ville universitaire, centre industriel, carrefour d'échange. Comme la Grosse pomme, elle ne s'arrête jamais et son aéroport est presque aussi encombré que celui d'une ville occidentale. A Kano, on vit et on meurt dans la rue. Parce qu'on est pauvre, parce qu'on est au mauvais endroit au mauvais moment. Parce qu'on réclame quelque chose et qu'il n'y a guère d'autre moyen de se faire entendre que de crier très fort et de taper sur tout ce qu'on voit.

La décision de l'équipe du président Goodluck Jonathan de supprimer les subventions sur le carburant a provoqué, à Kano comme partout, une explosion de mécontentement. Comme si la région, déjà endeuillée par les affrontements inter-religieux de ces dernières semaines, avait besoin d'une autre raison pour s'entredéchirer. Mais les leaders d'opinion n'ont que faire de la raison, encore moins si elle est d'Etat. Ils ont eu vite fait de jeter dans les rues les jeunes, désoeuvrés ou non, et tous les grévistes ayant répondu à l'appel des centrales syndicales. Certes, la mesure est maladroite et intervient à un fort mauvais moment. Sensée mettre fin au trafic de carburant et pénaliser les plus riches, obligés de s'acquitter de factures plus importante pour faire rouler leurs gros 4 x 4, elle a aussi touché de plein fouet les classes populaires qui utilisent les transports en commun, eux aussi victimes de la hausse des prix. Les organisations de la société civile, nombreuses au Nigeria, ont emboité le pas aux organisations corporatives, donnant ainsi naissance à des mouvements dépassant largement les habituelles mobilisations.

Déjà sur le pied de guerre pour lutter contre la secte fondamentaliste musulmane Boko Haram, qui s'en prend à tous les chrétiens, l'armée s'est mobilisée en un clin d'oeil pour faire face aux protestataires. Ceux-ci se sont rassemblés sur la Subsidy Square, la "place des subventions", sorte de place Tahrir à la nigériane et, armés de bâtons cloutés et autres masses d'armes, ils ont hurlé leur colère et cherché à tout prix à en découdre. Evidemment, les forces de l'ordre ont tiré... en l'air, dit-on. Quelques instants avant le déclenchement des hostilités, un groupe de jeunes agités avait tenté de pénétrer dans la résidence du gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, avant d'en être écartés sans ménagement. Trois morts et des dizaines de blessés plus tard, personne n'a rien gagné. Les 10 000 manifestants qui tentaient de s'installer à demeure sur la Subsidy Square ont été chassés et pourchassés, le carburant a plus que doublé de prix et chacun remâche sa colère en se promettant d'aller, la prochaine fois, plus vite et plus fort... mais où ?

Kano n'est pas la ville de tous les romantismes. On y est pratique, pragmatique et efficace. Les petits commerçants ont repris leurs activités avec une énergie revancharde. Les taxis collectifs prennent encore plus de voyageurs, même si cela relève de l'équilibrisme le plus délirant et la journaliste occidentale de passage a tout intérêt à se faire couleur muraille dans sa voiture poussiéreuse si elle ne veut pas faire l'objet d'une attention pas forcément bienveillante.

Heureusement, la route de Maiduguri s'ouvre vers l'est. Il est temps de partir sur les traces de Boko Haram.

A toi, fils de Pénélope, qui a voyagé à mes côtés et t'es reposé dans la maison de mes rêves, je t'emmènerai demain dans un monde d'infinie brutalité, mais qui n'est qu'une facette de cette même planète où l'on vit, toi et moi. Si nous regardons le toit du monde, la nuit, nous voyons les mêmes étoiles et nos regards s'enlacent.


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