Jean-Louis Giovannoni, Mère

Publié le 15 janvier 2012 par Angèle Paoli
«  Poésie d’un jour


© Ph. Jean-Philippe Poli, Musso, in Mémoire silencieuse
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« Difficile de le reconnaître, mais c’est la mort de ma mère
qui m’a fait naître à la poésie. Poussé par elle vers les mots. Comme
un endroit possible dans l’irrespirable.
 » (Jean-Louis Giovannoni)


MÈRE

À Marie-Louise Chiabrandi
(morte le 15 janvier 1974)


Mère
d’entre les glaises
d’entre les cailloux
  les racines
il t’est permis
  de continuer ton ouvrage coutumier
de tricoter
des prés d’herbe
d’entre les dents
d’entre les cuisses
  pour que je les enfile
avant que viennent tous ces hivers
ces hivers où je ne pourrai plus
  frayer vers ton centre
ces hivers où tu te durcis

S’il m’est permis de t’amener du bois
pour te faire une flambée
de te décercueiller dans mes gestes
de te rejoindre dans le compact de l’air
de t’y ovuler
et de t’établir à nouveau dans l’espace
pour te paroler dans le corps
  te refolier le regard

Mère
maintenant qu’il t’est permis
de compter parmi le vent
  d’y poudroyer
  de t’organiser dans cet autre rythme
  d’apprendre cette autre musique
  de l’écoulement
si tu pouvais venir dans ce vent
  avec tout ton savoir
  de terre
  de sécheresse
te coller à ma gorge
m’y apprendre la soif
et la marche qu’il faut que je fasse
pour que tu me réhydrates
pour que tu me repulpes

Mère
apprends-moi
  de ta demeure
  de terre
  d’eau
  d’espace
l’explosion condensée
de tes pierres
de tes bois…
pour que je m’installe enfin dans l’usure.

1er février 1974, Saint-Maur des Fossés


Jean-Louis Giovannoni, revue Sémaphore n° 7, association CIDELE, Angoulême, décembre 1999, in Garder le mort [1975] suivi de Mère, Fissile, Collection pire, 09310 Les Cabannes, 2009, pp. 87-88-89-90. Préface de Bernard Noël.

NOTE D’AP : Mère a aussi fait l’objet d’une édition à tirage limité (sept exemplaires) aux éditions Unes, sur l’initiative de Jean-Pierre Sintive, à l’occasion du 10e anniversaire (1984) de la mort de la mère de l’auteur. C’est après avoir lu Garder le mort de Jean-Louis Giovannoni (éditions Athanor, 1975. Préface de Jean-Luc Maxence) et Du chien les bonbonnes de Bernard Lamarche-Vadel que Jean-Pierre Sintive avait pris la décision de devenir imprimeur-éditeur.



JEAN-LOUIS GIOVANNONI

Ph. © Phil Journé
Source


  Originaire de Morosaglia et du hameau de Caroneo [Carognu] sur la commune de Monte (près de Olmo, dans le Casacconi, Haute-Corse) par son père, et d’origine italienne par sa mère (Marie-Louise Chiabrandi), Jean-Louis Giovannoni est né en 1950 à Paris, où il réside aujourd’hui. Il exerce la profession d’assistant de service social dans un hôpital psychiatrique de la région parisienne. Il a fondé et dirigé avec Raphaële Georges Les Cahiers du Double de 1977 à 1981. Membre du comité de rédaction du Nouveau Recueil de 2005 à 2007, il a publié dans de nombreuses revues : Exit, Sgraffite, Poésie I, L’Animal, Atelier Contemporain, Recueil, Le Nouveau Recueil, Mai hors saison, Inculte, Revue littéraire, Sud, L’Autre, Tout est suspect, Actions poétiques, L'Ire des vents,..., et a publié plus d’une vingtaine de recueils de poésie, depuis Garder le mort (1975) jusqu’à Envisager (Éditions Lettres Vives, 2011).
  Jean-Louis Giovannoni a reçu en 2010 le prix Georges-Perros et a été élu en mai 2011 président de la Maison des écrivains et de la littérature.

■ Jean-Louis Giovannoni
sur Terres de femmes

Envisager (lecture de Tristan Hordé)
Il faut si peu de chose
Notre voix

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique sur Jean-Louis Giovannoni
le nouveau site|blog de Jean-Philippe Poli, auteur photographe




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