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Un naufrage peut en cacher un autre !

Publié le 15 janvier 2012 par Sebastienjunca

La société de notation financière Standard & Poor’s vient de priver la France de son triple "A". Du même coup, sa crédibilité financière sur les marchés internationaux se trouve mise à mal. Crédibilité essentiellement dépendante de sa solvabilité.

Dans le même temps, le Costa Concordia, un des seize navires de la flotte de croisière Italienne Costa faisait naufrage hier au large de la Toscane.

A priori, aucun lien d’aucune sorte entre les deux évènements. Et pourtant, à y regarder d’un peu plus près, on ne peut s’empêcher d’y trouver autant de signes et de symboles du naufrage annoncé de nos civilisations.

Des navires comme le Costa Concordia sont à eux seuls de véritables microcosmes. Ils réunissent tout ce que la dite civilisation fait de pire en matière de culture, de consommation de masse, de loisir, de divertissement. Ils sont comme autant de laboratoires et de sociétés miniatures. Autant d’éprouvettes où l’on retrouve, en taux de concentration cent fois supérieurs à la normale, les formes les plus dures de consumérisme, de profit, d’exploitation de l’homme par l’homme, d’épicurisme frelaté, d’hédonisme libéral (et non libertaire). On peut y voir les traits les plus marqués du libéralisme, de l’économie de marché et de leurs plus viles dérives telles l’avidité, la suffisance et toutes les formes d’excès dont seules nos civilisations semblent détenir le funeste secret.

Les entrailles du navire sont pleines à craquer de toutes sortes de denrées autant inutiles qu’hypercaloriques. La succession des ponts, quant à elle, est à l’image des classes sociales qui s’y côtoient. Quand les uns se gavent au pont supérieur de tout ce que la société peut produire de bien de consommation, les autres, dans le bruit, l’effervescence, les journées à rallonge, la chaleur moite et les odeurs mélangées, travaillent, pour ainsi dire, à fond de calle.

Pour les croisiéristes, la vie à bord – et c’est bien légitime puisqu’ils sont en vacances – oscille entre la cabine climatisée et aseptisée, les buffets à volonté, les pistes de dance, les activités sportives de toute sorte... Sans oublier bien sûr les jeux d’argent et les boutiques de luxe ou chacun et chacune est à même de dépenser chaque jour davantage. Pourvu que l’équipage fasse toujours en sorte de vous faire croire que vous êtes la seule véritable star du navire. Les excursions dites « culturelles » n’ont le plus souvent de culturel que le nom. Elles consistent surtout à faire prendre l’air à la carte bancaire.

Ces villes flottantes sont de véritables vitrines de ce que nos civilisations ont de plus prétentieux et vulgaire : abondance, gigantisme, technologie, profit, commerce, argent, surconsommation, surpopulation, pollution, gaspillage et surproduction à la fois énergétique, technologique, économique et industrielle. Le tout au cœur d’un décor des plus ostentatoires, luxueux et insolents, digne des plus riches palais Émiratis.

Mais le vernis de la dite civilisation reste néanmoins fragile. Sitôt que la mort montre le bout de sa faux au détour d’un récif, les plus grandes certitudes, les plus belles formes de notre culture vacillent sur leurs socles de marbre. Après plus de deux mille ans d’âpres conquêtes, elles ne sont plus que lettres mortes. Où, comment plus de quatre mille passagers ne deviennent plus que bêtes apeurées se piétinant les unes les autres dans le seul espoir de sauver leur peau. Qui pourrait leur en vouloir ? Qui oserait leur reprocher ? Qui, parmi nous, oserait se prétendre en pareille situation différent du tout un chacun quand la "civilisation" ne se résume plus qu'à la seule pulsion de vie ?

De semblables évènements, pour qui sait voir au-delà des seuls faits et de la première émotion, nous en disent long sur la fragilité de nos sociétés et de nos certitudes. Les guerres, les catastrophes naturelles, technologiques ou bactériologiques nous en apprennent beaucoup plus sur nous que tous les ouvrages écrits en plus de vingt siècles de découverte. Foin des livres et des théories savamment exposées sur les plateaux de télévision ! Notre Humanité ne se révèle vraiment qu’au « pied du mur » : celui du condamné.

Nous qui nous sommes longtemps crus si supérieurs aux peuples dits « primitifs », de tels comportements de terreur et de panique invalident jusqu’à nos plus ardentes croyances, nos plus farouches convictions. Bien au contraire, ne serions-nous pas, des deux formes de civilisations, la plus primitive, la plus arriérée ? Non pas tant dans les formes technologiques et pratiques que nous prêtons à l’idée d’évolution. Mais, bien au contraire, dans notre aptitude au renoncement à toutes ces formes de progrès qui, quoiqu’on s’en défende journellement, semblent vouloir nous mener droit à notre perte.

Le véritable progrès ne tiendrait-il pas justement en notre capacité à renoncer ? Renoncer au pouvoir sous toutes ses formes. Renoncer à la force. Renoncer à la toute puissance économique, mécanique, industrielle, énergétique, intellectuelle, politique, idéologique et médiatique. Renoncer à toutes les formes de suprématie et de coercition sur la Nature, la Vie, les hommes et les bêtes. La volonté suprême n’est-elle pas celle qui consisterait justement à renoncer à toute forme de volonté ?

Si le Costa Concordia évoque trait pour trait la société occidentale du 21ème siècle, son naufrage est la parfaite illustration de ce vers quoi nos comportements risquent de nous conduire : le naufrage de notre civilisation déclinante et décadente. Le symbole est trop fort, trop évident pour le passer sous silence.

Car cette catastrophe - et bien qu’il soit encore trop tôt pour le dire avec certitude – ne semble pas avoir d'autre origine que l’insouciance, l’aveuglement, la prétention et le manque total de préparation d’un équipage qui, de bout en bout, semble avoir grandement sous-estimé les risques inhérents à une navigation à proximité des côtes. De même que l'équipage du Costa Concordia, notre civilisation semble pareillement aveuglée par sa toute puissance technologique, économique et financière. Nous nous en remettons aujourd’hui de façon aveugle à toutes les formes de systèmes, qu’ils soient économiques, politiques, culturels, technologiques et énergétiques. Autant de savantes constructions que nous compliquons à l’envi dans un insatiable besoin de perfection et de précision. Mais c’est oublier que le chaos, le hasard, l’indétermination n’en sont pas pour autant écartés. Bien au contraire, l’ultra complexité de n’importe quel édifice le rend d’autant plus fragile et vulnérable. Le moindre « grain de sable » se trouve dès lors chargé d’un pouvoir d’autant plus puissant que le système sera complexe. À plus forte raison si l’homme s’en remet aveuglément à sa toute puissance et à son génie.

En 1912, le Titanic et son commandant avaient pour excuses que les icebergs ne restent que très rarement au même endroit. En 2012, le Costa Concordia, à la pointe de la technologie et après de nombreux précédents, ne semble pas avoir su tirer les enseignements de ses illustres mais néanmoins « naufragés » prédécesseurs. Humilité ! Humilité ! Qui plus est, la réaction des plus inappropriées de l’équipage dans les premiers temps du naufrage montre à quel point la compagnie, toute axée sur le profit et la rentabilité, n’avait sans doute fait que peu de cas de l'éventualité d’un tel accident.

Faut-il enfin voir dans ce double évènement les signes avant-coureurs et les symboles d’une catastrophe et d’un naufrage autrement plus importants que celui qui vient d’avoir lieu ? Le naufrage du Costa Concordia est-il un avant-goût de ce qui attend le monde occidental ? Faut-il voir dans l’évènement localisé un signe annonciateur du futur naufrage de notre civilisation, sinon de notre économie ? En d’autres termes, est-ce qu’un naufrage peut en cacher un autre ?

Sébastien Junca


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