Je viens de me désinscrire de ta liste de diffusion pour les présidentielles. J’imagine que tu t’en fous un peu, mais comme mon petit doigt me dit que je ne suis pas le seul, je voulais quand même te dire pourquoi.
J’ai fait campagne avec toi, j’ai participé à un de tes Congrès, et comme beaucoup tu m’as désespéré. Je dois reconnaître que tu m’as bien déniaisé, aussi. Je sais maintenant pourquoi Oui Oui ne sera jamais élu. Je sais que pour un homme de valeur il y aura toujours trois hommes d’appareil prêts à consacrer leurs soirées à lui savonner la planche. Grâce à toi je sais comment fonctionnent les réseaux – comment les ficelles tirées d’en haut finissent par déterminer le vote d’un petit groupe local. Je les ai vus, tes jeunes pousses, se jetant dans le combat d’une élection interne à venir, se soûlant de beaux discours sur la justice sociale en rêvant de l’emploi fictif qui les attendait à la Mnef si Machin était élu.
La plupart t’ont quitté, depuis, parfois pour travailler dans des banques. Quelques-uns, rendons-leur hommage, ont fait honnêtement leur chemin : ils travaillent dans des mairies (au plus près du terrain, diraient tes communiquants) et forcent mon respect quand ils me racontent les situations qu’ils gèrent tous les jours, pragmatiques mais pas cyniques. D’autres, enfin, ont poursuivi sur la voie de leur vraie passion : les réseaux, et le pouvoir. Ou plutôt : les jeux de pouvoir, bien au chaud dans les salons vip, sans avoir à se tacher le costume à prendre des décisions ou à écouter des philosophes et autres responsables associatifs qui décidément ne comprennent rien aux calculs électoraux. On les retrouve dans les think tanks, ils déjeunent avec des lobbyistes qui parlent le même langage, et se placent dans l’état-major de leur champion pour la présidentielle. Ceux-là, quand je les ai connus, faisaient de la com parce qu’au fond ils ne connaissaient que ça ; et ils en font toujours, parce qu’ils ont fini par croire qu’il n’y a que ça qui compte. Pour les idées, bah : on lance des mots dans l’air du temps, on les regarde rebondir, on attend le dernier sondage et on écoute les Barbier et Joffrin commenter le creux de la campagne. Mais cela nous en parlerons plus tard – après tout on ne sait jamais, peut-être François aura-t-il vraiment des choses à nous proposer d’ici avril. Pour l’heure revenons donc à nos moutons, militants et sympathisants.
Bref !
J’ai déchiré ta carte depuis longtemps, mais comme tous les cinq j’avais le foll espoir que tu allais changer. Au moins un peu. Je suis allé voter aux Primaires, et me suis réinscrit à ta liste de diffusion.
Alors dans ma boîte mail j’ai reçu ces messages, parfois deux par semaine :
- Tous ensemble avec notre candidat
- Nous rassembler pour gagner !
- Un nouvel espoir à gauche
- L’alternance, vite.
Et tu voulais que je les ouvre ? Je te promets que j’aurais préféré d’austères messages techniques. Je ne les aurais peut-être pas plus lus, mais au moins je t’aurais respecté.
Et puis, la semaine dernière, un nouveau mail. Le changement c’est maintenant. Je ne savais pas encore qu’il allait devenir le slogan de la campagne. Pour moi ce n’était qu’un message creux de plus. Dans un grognement j’ai cliqué sur "Se désinscrire". Puis quand même, par acquit de conscience, j’ai ouvert ta newsletter. Après tout, il se pouvait que derrière le vide du titre se cache un peu de réel. Mais non, bien sûr. Tu me proposais de "revivre une semaine de campagne" comme si tu étais Yves Calvi, et de regarder une vidéo "décalée" sur la TVA sociale, faite par des petits communiquants en roue libre rêvant de bosser pour Ardisson.
J’ai confirmé la désinscription. Froidement, cette fois. Tu reviendras vers moi quand tu seras prêt à parler pour dire quelque chose.
J’espère vraiment que ce moment arrivera.
En attendant, pardonne-moi d’avoir été aussi long, si tu veux je me résume :
Tu t’es converti aux sondages parce que tu ne croyais plus en grand’chose. Tu t’es vendu à ceux qui parlent bien parce que tu ne savais plus quoi faire. Peu à peu tu as fini par ne plus écouter qu’eux, à parler comme eux. Es-tu donc devenu aveugle à ce point pour ne pas te rendre compte qu’ils ne disent rien ?