les Ménines
Diego Vélasquez
1656/1657
huile sur toile
318 x 276 cm
Approche des Ménines.
Historiens, théoriciens, philosophes et autres sociologues se sont penchés sur cette œuvre de Vélasquez. De nombreux artistes en ont donné leur propre version. Comme le note Daniel Arasse : « On sait tout et on a tout imaginé sur ce tableau ».
Les Ménines font donc partie de ces œuvres surchargées d'interprétations. Celles-ci ne risquent-elles pas de masquer l'œuvre en prétendant la révéler ou tout au contraire, comme l'a écrit l'un des grands historiens de Vélasquez, le temps n'épuise pas les Ménines, il les enrichit.
Même si certaines interprétations, que l'on peut considérer comme intrinsèquement intéressantes, ne le sont pas toujours en ce qui concerne leur objet, c'est à dire le tableau accroché aux cimaises du Prado, elles signifient, du moins, que toute grande œuvre suscite questionnement.
Mais comment s'y retrouver au milieu de ces déclarations accumulées, de ces interprétations entrecroisées, de ces désaccords inconciliables entre les approches historiques, théoriques, philosophiques et autres...?
Ceux qui ont tenté d'élucider la teneur du tableau ont toujours, semble t-il, été confrontés à la persistance d'étranges zones d'ombres et la question que chaque étude repose à propos des Ménines est la même : quel est le sujet du tableau?
Selon Michel Foucault : « Peut être y a t-il, dans ce tableau de Vélasquez, comme la représentation de la représentation classique, et la définition de l'espace qu'elle ouvre » et au delà du sujet élidé « La représentation peut se donner comme pure représentation ». Lacan, lui, va jusqu'à mettre le psychanalyste et le spectateur des Ménines dans une même situation, soit devant « un ordre de représentation qui n'a à proprement parler rien à faire avec ce qu'aucun sujet peut se représenter... ».
Naissance de l'œuvre
C'est le roi Philippe IV qui en a passé commande au peintre Diego Vélasquez en 1656.
Jusqu'en 1843, le tableau portait le nom de Tableau de famille. Il avait pour thème la famille royale, entendue à la fois comme famille par le sang (l'infante Marguerite et le couple royal dont on peut voir le reflet dans le miroir), la famille élargie aux familiers de l'infante (les ménines ou suivantes qui l'entourent) et aux familiers du couple.
A la naissance, en 1657, de l'infant Philippe Prosper, héritier du trône, non seulement le nom du tableau va être modifié mais il va subir des transformations. En effet, dans la première version vue par radiographie, le peintre ne figurait pas sur la gauche ni la toile dont nous voyons le revers. A sa place était représenté un grand rideau rouge et un jeune garçon tendant vraisemblablement un bâton de commandement à l'infante.
Il s'agissait donc d'un tableau dynastique, désignant l'infante comme héritière du trône et le miroir au fond comme présence auratique du roi et de la reine, comme fondateur de cette lignée dynastique.
Donc, le tableau, tel que nous le voyons aujourd'hui, est en fait le résultat de deux tableaux superposés. Dans la première version, la composition entrait de façon intelligente dans le programme politique d'un tableau dynastique, les modifications apportées en ont fait une œuvre mystérieuse et complexe qui pose encore aujourd'hui de nombreuses questions.
De plus, il ne faut pas oublier que malgré ces grandes dimensions, ce tableau était un tableau privé et destiné à l'origine à un seul spectateur; le roi lui même.
Dés 1666, la toile avait sa place dans son bureau d'été, elle y est restée jusqu'en 1736.
A présent, le tableau est accroché aux cimaises du Prado et donc à la vue de tous.
Les éléments du tableau
- La scène se situe dans une grande pièce, identifiée comme étant l'une des salles du palais royal à Madrid. Si l'on suit la description de Michel Foucault; on peut reconnaitre, sur la gauche, le peintre lui-même, Diego Vélasquez, en train de peindre (c'est un autoportrait). Au dessus d'elles, un miroir très sombre reflète le roi Philippe IV et la reine Marianne. A coté de ce miroir, au fond, se tient José Nieto Vélasquez, homonyme du peintre et grand chambellan de la reine. Il apparaît dans l'encadrement de la porte, sur les marches d'un escalier. Sa posture fait écho à celle du nain situé à l'extrême droite du tableau et à celle du peintre.
A sa droite, une servante (ménine) à genoux, tend un plat avec une petite cruche rouge à l'infante Marguerite qui est au centre de la représentation.
On peut noter que Diego Vélasquez est à la fois le peintre du roi et son grand chambellan ou maréchal du palais. A droite de l'infante, une servante esquisse une sorte de révérence. Légèrement en retrait, un couple non identifié, sans doute une duègne (gouvernante) et un autre personnage perdu dans l'ombre. Sur le devant, on peut voir une naine (Marie Bardola) et le petit Nicolasito, à l'extrême droite, qui donne un coup de pied au chien.
- On compte au moins onze toiles accrochées aux murs, onze tableaux parfaitement identifiés qui existent toujours. Les deux toiles, accrochées de part et d'autre du miroir, sont deux copies exécutées par le gendre de Vélasquez, J.B.M. Del Mazo. L'une est une copie de Jordaens, Apollon et Marsyas, l'autre est une copie de Rubens, Pallas et Arachné.Elles ont en commun la nature du mythe qu'elles mettent en scène (deux défis artistiques lancés à un dieu par un mortel).
Et puis il y a le douzième tableau, celui dont on aperçoit que le revers, celui que peint Vélasquez.
L'espace de l'œuvre
- Le peintre ouvre un espace, les éléments de la représentation s'inscrivent sur la surface de la toile, les limites du tableau découpent la scène.
A première vue, l'espace représenté dans le tableau apparaît comme une sorte de cube, un volume, dont la quatrième paroi serait transparente, constituant une scène dont nous sommes les spectateurs.
Devant l'œuvre, nous sommes immédiatement saisi par la représentation, plusieurs éléments y participent : la position des personnages sur le devant de la scène et qui nous font face; les regards, en particulier celui du peintre, qui semble dirigés vers nous; la lumière. L'ouverture latérale d'une fenêtre, à l'extrême droite, nous fait pénétrer directement dans la lumière du premier plan. Comme l'analyse Michel Foucault : « Le flux de lumière, qu'elle répand largement, baigne à la fois d'une même générosité deux espaces voisins, entrecroisés mais irréductibles : la surface de la toile, avec le volume qu'elle représente... et en avant de cette surface, le volume réel qu'occupe le spectateur. »
Face à nous, premier personnage dans la profondeur du tableau, un gros chien est allongé, les yeux clos. Sa couleur fait écho à la couleur du chevalet, du châssis et du revers de la toile sur la gauche. Le chien ne voit rien... le tableau ne montre rien... nous ne voyons rien du tableau, tableau qui, pour reprendre les termes de Michel Foucault : « ...apparaît aux yeux des spectateurs comme une sorte de grande cage virtuelle que projette vers l'arrière la surface que le peintre est en train de peindre. »
Donc, à droite, «... la fenêtre, une ouverture, instaure un espace aussi manifeste que l'autre celé. »
Dans l'espace de la pièce, les personnages sont distribués de façon complexe, ce qui participe à donner de la profondeur.
En arrière plan, l'homme qui surgit du dehors et se détache dans l'encadrement de la porte accentue encore cet effet.
Il y a en fait deux sources de lumière bien repérables : la première, comme nous l'avons vu, rend visible le premier plan et permet d'intégrer notre propre espace; la seconde correspond à la porte du fond. Sorte d'aplat doré, elle creuse l'espace du tableau et l'ouvre sur un espace indéfini.
A gauche de la porte, le miroir brille d'un éclat singulier, le roi Philippe IV et la reine Marianne s'y reflètent. Cependant, il ne reflète rien de ce qui se trouve dans le même espace que lui, ni le peintre qui lui tourne le dos, ni les personnages au centre de la pièce.
La porte, comme le miroir, nous renvoient à un dehors de l'œuvre, elle ouvre l'espace en son fond. Le miroir fait référence à l'espace au devant du tableau.
Le peintre, comme la plupart des personnages, est tourné vers ce qui se passe en avant, à l'extérieur.
- La construction géométrique des Ménines ne peut être que rigoureuse et très complexe. En effet, les préoccupations esthétiques de l'époque visaient l'harmonie et la beauté.
Les peintres utilisaient des méthodes de construction liées essentiellement au nombre d'or, mais, sans rentrer dans les méandres d'une telle analyse, il est tout de même possible de relever certains points.
On peut lire clairement trois espaces ou bandes dans la hauteur du tableau, le sol, le mur et le plafond, trois bandes que l'on retrouve sur le revers de la toile à gauche.
Les personnages, au premier plan, sont situés dans la moitié inférieure du tableau, ils sont positionnés en demi-cercle. Le centre du groupe est occupé par la petite infante.
"La perspective des Ménines est remarquable dans le sens ou elle reste discrète. Vélasquez se sert de rectangles pour accentuer la géométrie et structurer sa perspective. Les lignes des bases et des sommets des toiles de droite mènent au point de fuite (l'ouverture dans la porte du fond), qui est aussi l'endroit le plus lumineux. Mais c'est surtout le jeu de lumières et d'ombres qui construit la profondeur du tableau et l'emploi atmosphérique d'une pénombre épaisse adoucit la rigidité linéaire de la pièce." Alice COLE
Selon Philippe Comar, Vélasquez ne «...contourne la règle qu'en s'y soumettant. C'est au prix de la plus rigoureuse construction que le tableau échappe à la rationalité et creuse un espace dont la séduction n'est plus seulement illusionniste, le tableau dévoile l'artifice. Nous voyons l'envers du décor, les coulisses de la peinture, non pas la restitution de l'espace dans sa seule dimension géométrique comme le ferait un simple miroir, mais selon une dimension plus abstraite, plus essentielle surtout - une dimension qui est le regard du peintre, sa vision du monde : le sujet même de la peinture ».
références bibliographiques
- Michel Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, 1966.
- Daniel Arasse, On n'y voit rien, descriptions, Denoël, 2000.
- Daniel Arasse, Histoires de peintures , Denoël, 2004.
- Jean Luc Chalumeau, Les théories de l'art, Vuibert, 1994.
- Jean Luc Chalumeau, Lectures de l'art, Chène, 1991.
- Philippe Comar, La perspective en jeu, les dessous de l'image, Découvertes Gallimard, 1992
- Alice Cole, La perspective, profondeur et illusions, Les yeux de la découverte / Gallimard,1993
questions
- Comment aborder une œuvre aussi complexe?
- Comment créer une situation de travail à la fois simple, ouverte, permettant aux élèves de la comprendre, d'en avoir une vision globale et d'en percevoir les différents paramètres?
La difficulté est de ne pas les noyer sous trop d'informations ou de jugements préfabriqués qui ne désignent de l'œuvre que les critères selon lesquels elle doit être appréciée.
Le plus souvent, ces jugements ne sont que des raccourcis qui nous donnent vite l'illusion d'épuiser l'intérêt du sujet.
Tableau dans le tableau, mise en abyme du temps et de l'espace, perspective métaphorique..., une analyse rapide des Ménines renvoie à diverses pistes d'exploitation possible.
Pour permettre aux élèves de regarder, de comprendre l'œuvre de Vélasquez sans délimiter leur vision, il me semble logique de questionner directement l'espace du tableau.
Il ne s'agit pas de faire une analyse structurale essentiellement basée sur l'étude de la perspective, exercice trop rébarbative pour des élèves de 3 ème, mais d'appréhender l'espace de l'œuvre de manière plus ouverte.
La pratique, approche plus intuitive et personnelle, permettrait ensuite d'observer plus avant et donc de mieux cerner les paramètres qui sont en jeu.
Mon idée est, à ce stade, d'amener les élèves à ouvrir l'espace, pénétrer l'œuvre, déployer son volume de manière à en étudier la structure et voir comment les espaces s'organisent.
auteur(s) :
hélène jaguin
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