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Sollers à Smolensk

Publié le 24 janvier 2012 par Jlk

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De la physique des nuages, de l'homonymie, de l'amitié et de L’éclaircie, le nouveau livre de Ph.S.

Chaque fois ou presque que je me rends à Smolensk en classe busy, ça ne manque pas : je tombe sur Sollers. La semaine dernière encore, alors que j’allais négocier l’achat d’une icône du XVIIe tardif auprès du sous-secrétaire du Métropolite Cyrille, pour le collectionneur qui me fait voyager à l’œil depuis quelques décennies, destination Smolensk ou ailleurs, voilà mon Sollers sur le tarmac avec son énorme porte-documents et son sourire matois si semblable en somme à celui de son homonyme.Charles Sollers est un type épatant dont j’aime la conversation, véritable délassement pour l’esprit et la sensibilité fine sur le long parcours de Roissy à Smolensk via Varsovie. Charles n’est pas vraiment un littéraire, jamais je ne suis arrivé à lui faire lire les quelques livres lisibles de son homonyme, mais cet ingénieur atomiste est un bon connaisseur de l’ornithologie et des opéras de Puccini, de la peinture flamande et de la physique des nuages. Nous nous étions entretenus, lors de notre première rencontre, des montagnes de cumulo-nimbus de la plaine tourangelle, qu’il me dit rêver d’escalader un jour, et c’est dès ce premier entretien qu’une connivence poétique nous porta à nous confier mutuellement nos noms : il me livra donc son Sollers, et moi mon Joyaux, ce qui nous rendit tous deux joyeux car il trouvait Joyaux un nom joyeux et moi ce nom de Sollers me faisait rire, le sachant le pseudonyme de Joyaux, mon homonyme.

Si nous nous entendons si bien, Charles et moi, qui nous arrangeons toujours avec les hôtesses russes pour nous retrouver côte à côte (je prononce mon spassiba avec un accent parfait, et lui coule son kharacho avec la même aisance), c’est à cause de notre goût commun pour les nuages, qui nous surexcite au moment des lentes montées vers l’azur et se poursuit dans nos longues évocations verbales entrecoupées de lampées de Bloody Mary. Il y a là quelque chose de rare, qui fonde une véritable amitié, que je crois indestructible. Ce n’est pas pour autant que j’irais plus souvent à Smolensk, et jamais nous ne nous voyons ailleurs que sur ce vol, Charles et moi. C’est simplement un fait : nous sommes d’incomparables amis, qui nous entendons en matière de nuages et de déserts, d’oiseaux et de mélodies à fendre l’âme.

Charles est plutôt Tosca, moi plutôt Bohème, mais attention : ça peut changer. En 1999, lors de notre treizième vol commun, je me suis soudain trouvé en mesure de murmurer le Vissi d’arte, vissi d’amor de Tosca avec un pathétique (je croyais alors que j’avais un mal incurable) qui poigna Charles au point qu’il entonna un Mi chiamano Mimi positivement…Les mots me manquent pour dire cette amitié, qu’on n’imaginerait pas avec l’autre Sollers, je ne sais pourquoi mais c’est comme ça: les écrivains sont les écrivains surtout ceux qui se prennent pour les meilleurs ce qui s'avère - parfois. Bref, Charles Sollers m’a d’ores et déjà prié de prendre connaissance de L’éclaircie, le dernier « roman » récemment paru de l’autre Sollers, et de le lui résumer lors d’un prochain vol. Je n’y manquerai pas. Charles a cessé de le prendre au sérieux lorsque je lui ai cité les pages de son homonyme concernant les oiseaux,  dans un « roman » antérieur, et cette fois j’essaie de l’intéresser à la jolie page  consacrée au cyprès de son jardin en enfance sur laquelle l'autre Sollers amorce le nouvel épisode de ses « journaliers » d’esthète à la coule, avant de parler de sa sœur Anne et, après la mort de celle-ci, de sa nièce impatiente de le lancer en Chine comme un produit de marketing. Or ça ne prend pas. D’abord parce que je ne suis pas convaincu du tout par la nécessité de ce « roman », ensuite du fait que les citations que j’en fais, toutes fluides et belles qu’elles soient parfois, n’ « accrochent » pas vraiment. En fait on ne « la fait » pas à Charles, il n’y a pas chez lui trace de snobisme, c’est un amateur au sens vrai de « celui qui aime », comme l’est l’autre Sollers à certains égards. Mais le côté tout de même puant de l’écrivain se flattant lui-même n’échappe pas à Charles, quand je lui lis telle ou telle page où l’Objet (Manet, les femmes de Picasso, Stendhal ou Nietzsche) s’efface devant le poseur se mirant et s’admirant lui-même avec cette morgue méprisante de celui qui s’estime au-dessus de tout…

Le pauvre homme n’a rien compris aux Russes, me dit cette fois Charles Sollers de son homonyme, en ajoutant que  cette manière de se situer au centre du centre de tout, quitte à annexer la Chine pour se poser au milieu du Milieu, ne fera plus longtemps illusion même en France. Et tout à coup Charles Sollers me parle de la clairière selon Hölderlin, et c’est une autre éclaircie que je vois s’ouvrir dans notre simple conversation en plein ciel - deux amis qui se parlent d’un poète qu’ils reconnaissent tellement présent d’être ailleurs et partout, dans cette lumière qui n’est jamais qu’allusion à autre chose qui ne se dit pas…   

Image: Constable


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