Sona (post-Atarɐxe)

Publié le 25 janvier 2012 par Banalalban

Tu ne m’as jamais appelée « mon amour »… si, doucement tes silences m’ont faite grandir dans les bras que tu n’avais pas pour moi,  j’aurais pu me perdre parce que tu n’étais pas démonstratif… mais somme toute, rassure-toi, tu avais des beaux gestes, des beaux gestes rares, des gestes de déjà morts déjà, ou bien de sacrément tout petits gestes, alors je retrouvais le chemin vers chez nous comme les petits cailloux qui, comme les hiboux, les genoux, les poux _ on nous le dit si bien à l’école_ en prennent. Notre appartement donnait sur une rue minuscule et je te regardais comme je pouvais regarder la rue minuscule par la fenêtre parce que dans les deux il y avait de la vie, du passage et du beau monde : toi, la rue minuscule, toi, la rue minuscule, toi et la rue minuscule, toi qui lis dans un fauteuil à la manière d’un dandy ou tout du moins l’idée qu’on s’en fait sans le cigare et le brandy pourtant et la rue minuscule qui attend qu’une bombe tombe pour avoir quelque chose à dire qui change des harangues du poissonnier  _ « la raie minuscule »_ et des bonjours insipides de cette connasse de boulangère. Je te trouvais dans le frigo lorsque tu y laissais une part pour moi ou bien dans les livres que tu voulais si ardemment que je lise. Je te trouvais dans cette main qui me protégeait dans le métro bondé et qui me poussait lorsque je n’allais pas assez vite. Je te trouvais quand tu m’enrobais avec ta veste en eider lorsque j’avais froid, mais que tu ne me caressais pas. Jamais.  Ou bien il s’agissait de caresses involontaires comme lorsque l’on ferme à clé une porte ou qu’on se brosse les dents, quelque chose de mécanique, de l’ordre de l’habitude : ce n’était en aucun cas voulu. On remonte une montre pour qu’elle marche, je devais bien avoir quelques ressorts moteur. Je te retrouvais dans ces regards que tu me lançais en soirée pour être sûr et certain que j’étais encore là, dans cette façon que tu avais de toujours tout arranger pour un peu moi tout en prétendant que non, bien sûr que non, ça n’a rien à voir, tout cela c’est de l’ordre du pratique, ce n’est absolument pas pareil. Tu me faisais des cassettes avec les morceaux qui passaient à la radio, les morceaux que tu aimais et souvent c’était ces musiques qui parlaient d’amour, d’un amour très long, qui parlaient pour toi de notre amour, de mon amour tout pour toi, et toi qui y collais un scotch : « Écoute ça ». Le romantisme, tu ne devais pas vraiment savoir ou peut-être que tu avais peur de la durée ou bien des chaines, je retenais ma respiration. Tu passais des heures à jouer à Tétris et je te retrouvais parfois dans ce sourire qui disait « que veux-tu, j’adore ça emboîter des choses » une preuve de ce que je savais déjà. Et tes caleçons qui me donnaient des leçons de vérité parce qu’ils sentaient l’histoire de nous que ne disait pas tes mots. Tu ne me tenais jamais par la main ni ne m’embrassais en public, c’était ça une vie, la nôtre, et puis tu. Mais finalement, c’était si bien, c’était comme ouvrir un cœur sans qu’il saigne.

J’aurais tant voulu grandir avec toi aussi, être enfant avec toi, partager des cabanes et les tapisser de mousses, de feuilles épaisses et confortables, pour que les aiguilles des pins y râpent moins, empiler des palettes en bois entre deux branches biscornues pour prendre une hauteur appréciable comme la note que pousse la voisine, la chanteuse d’opéra. J’aurais aimé jouer aux billes avec toi, me battre aussi avec toi. Te donner des coups de poing, te traiter comme un chien, te faire avaler des couleuvres et du sable de feldspath. Être ta sœur de sang, j’aurais très bien su j’aurais très bien pu. Piquer la pulpe de nos pouces d’une aiguille chauffée à rouge puis bleu ou l’inverse_ il faudrait que je réessaye. Pour que tu comme me tiennes dans tes bras. Pour que je sois physiquement avec toi. Je me serais baignée dans la rivière avec toi, construit un barrage en cailloux avec toi, pêcher de petits poissons à l’aide d’une bouteille coupée en deux avec toi. Je me serais posée et j’aurais profité de ton corps qui battait, de la douceur glabre de ta peau. Être une adolescente exécrable avec toi pour renifler de la colle Cléopâtre ou regarder la télé et Récré A2. Du temps passé à t’attendre, ça j’aurais pu en prendre et du bon.

Tu ne m’as jamais appelé « mon amour », mais dans tes silences, je t’ai toujours trouvé. Ça m’était égal. Tout ira bien maintenant, tu verras, tout ira bien… Non je ne pleure pas, non, bien sûr que non, ça n’a rien à voir, tout cela c’est de l’ordre du pratique, ce n’est absolument pas pareil, j’humidifie mes yeux si tu veux savoir, c’est une chose que je fais. Lâche ma main, tu ne l’as jamais tenue, lâche ma main, alors pas maintenant, pas comme ça, pas comme si c’était fini, lâche ma main… rien ne renait … LÂCHE MA MAIN À LA FIN !!!