Magazine Journal intime

Sauvetage

Publié le 26 janvier 2012 par Araucaria
chat sauvage
Photo l'Internaute  © Christian Demussy
"(...) Nous dormîmes fort mal en songeant à cette pauvre chatte, et nous nous levâmes à cinq heures, aux premières lueurs de l'aube. L'orage s'était éloigné, mais tout ruisselait. Nous sortîmes dans la clarté froide du petit matin, et des filaments rouges apparaissaient à l'est, là où le soleil se lèverait plus tard. Nous descendîmes le coteau et pénétrâmes dans la brousse gorgée d'eau, jusqu'au tas de vieilles branches. Aucun signe de la chatte.C'était un puits de vingt ou trente mètres de fond, d'où partaient deux galeries, l'une à trois mètres de la surface et l'autre beaucoup plus bas. Nous décidâmes que la chatte avait dû cacher ses petits dans la première galerie, qui s'étendait sur une petite dizaine de mètres en pente douce. Nous eûmes beaucoup de mal à soulever toutes ces branches alourdies par l'eau : cela nous prit longtemps. Quand la gueule béante du puits apparut, plus rien de l'ancien tracé net et carré ne subsistait. La terre s'était effondrée, entraînant des branches et des brindilles qui formaient à présent une sorte de plate-forme inégale en contrebas, à cinq mètres environ. Par-dessus s'étaient accumulés des cailloux et de la terre. Le tout formait donc une sorte de sol précaire - mais très mince :  au travers nous voyions luire l'eau de pluie tout au fond du puits. Un peu plus bas que la surface du sol, plus très loin à présent que le contour du puits s'était affaissé, à trois mètres de profondeur environ, nous distinguions l'ouverture de la galerie oblique, un trou d'environ un mètre carré. Couchés à plat ventre dans la boue rougeâtre et glissante, agrippés aux broussailles pour ne pas perdre l'équilibre, nous pouvions voir assez loin dans la galerie - à peu près deux mètres. Et là, apparaissait la tête de la chatte, à peine visible. Elle se tenait parfaitement immobile, comme plantée dans la terre rouge. Nous pensâmes que le tunnel avait dû s'effondrer, avec toute cette pluie, et qu'elle était à demi ensevelie et probablement morte. Nous l'appelâmes : un faible son rauque nous répondit, puis un autre. Elle n'était donc pas morte. Notre problème consistait maintenant à déterminer comment nous la rejoindrions. Inutile de songer à un treuil, qui risquerait à tout instant de glisser sur cette terre détrempée. Et aucun être humain ne pouvait prendre appui sur cette plate-forme précaire en branchettes et brindilles (...)Nous fixâmes une corde à un arbre, fîmes des noeuds espacés d'un mètre chacun, et la fîmes glisser dans le trou en nous efforçant de ne pas la frotter contre les parois boueuses qui l'auraient rendue glissante. Ensuite l'un de nous descendit le long de la corde avec un panier, jusqu'au niveau de la galerie. La chatte était là, accroupie sur la terre rouge et imbibée d'eau - elle se révéla toute raidie par le froid, et trempée. A côté d'elle se trouvaient une demi-douzaine de chatons âgés d'environ une semaine, et encore aveugles. Les orages de ces deux semaines avaient fait pénétrer tant d'eau dans cette galerie que les parois et le toit s'étaient en partie effondrés; et la tanière qu'elle avait dénichée, qui lui était apparue si sèche et si sûre, s'était transformée en piège mortel. (...) Elle avait dû perdre tout espoir cette nuit-là, alors que la pluie cinglait, que la terre glissait et s'affaissait autour d'elle, et que l'eau s'engouffrait  à sa suite dans le sinistre tunnel instable. Mais elle avait nourri ses petits, ils vivaient. Ils sifflèrent et crachèrent de toutes leurs forces tandis qu'on les installait dans le panier. La chatte était trop raide et mouillée pour avoir la force de sortir seule du puits. Les chatons en colère furent hissés en premier, pendant qu'elle attendait, accroupie sur la terre mouillée. Le panier redescendit, et elle y fut installée à son tour."
(...)
Doris Lessing - Les chats en particulier - Le Livre de Poche n°6167 -

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Araucaria 31 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine