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Le jour où j’ai appris à ne plus savoir lire

Publié le 27 janvier 2012 par Poneyland

C’est la douleur et la gêne la plus étrange que j’ai pu connaître, un blocage dans le cerveau qui n’existe pas. J’ai perdu des mots que je connaissais depuis toujours, j’ai douté du sens des choses les plus élémentaires. Le sens des aiguilles d’une montre, le sens de l’ordre des mots, 6, 7, 8, 9, 6. Je regarde des poules, et tu vois des champignons, je regarde des girafes et tu vois des pataquesses. POurquoi? COmment ? Tu défais les certitudes les plus simples, les plus fines. Je te donne des clés, tu les transformes en dés, et tu les jettes au hasard d’une partie de lecture.
Dans l’imagination de ton monde, il n’y a pas de cohérence et tu te promènes dans les sentiers que tu dessines au passage de tes pieds. Tu hésites, les jambes un peu raides, et puis tu empoignes avec violence ton absence de connaissances. Tu sais tout, tu ne sais rien, tu existes et tu veux. Tu me souris, tu es fier, je te dirais bravo, c’est bien. Mais je dois, encore une fois, instiller des doutes dans la glaise molle de tes fondations : et ce mot la ? Blocage dans la connexion entre deux synapses, défilement au hasard de millier de mots incongrus… brouette ! Non… C’est pas brouette… Ca commence même pas par un b, petit ou grand, en bâton ou attaché, ça commence par un v… DINDON ! Putain de mot miracle, un mot valise, un mot bagage, qui débarque à l’improviste, un peu plus et il viendrait sonner à la porte pour s’installer avec nous. DING DONG ! “C’est le dindon, le gros connard qui colle un i avec un N, un O avec un N, qui fait des bruits de gros connard, en réalité, dans mon image verbal, partout ou je traîne ma tête de bête !” Allé, ça ira pour dindon, moi aussi je l’aime bien ce mot, il sonne drôle et con. Maintenant au suivant ! C, R, E, V… Blanc. C’était crevette, j’aurais aimé que tu me dises crevard, au moins on aurait bien rigolé.
Et puis l’heure s’est finit, tout le monde est partit manger, je suis sortie fumer une cigarette et j’ai eu une sorte d’envie de pleurer. La porte est tombé de ses gonds, l’escalier s’est effondré, les murs se fissuraient pendant que le toit s’est écroulé, le sol tremble, l’air vibre, les barrières envoies des rayons lasers dans les yeux des gens… Juste dans les miens en fait, parce que je suis toute seule dans cette putain de rue. Parce qu’il n’y a personne pour assister à la fin du monde des certitudes d’un poney avalé par le vide. Le néant c’est gênant parce qu’il n’y a rien à contrôler dedans.
Alors je joue au grand philosophe de la vie de mes couilles, et je passe stoïquement le pas de la porte effondrée du monde du grand néant géant. Bonjour monde futile, je viens piétiner sans remord tout ce que tu m’as enseigné, car aujourd’hui j’ai tout ré-appris.

(Post-scriptum : depuis quelques semaines Poneyland à pour tâche d’enseigner la lecture et l’écriture à un jeune enfant ayant des “difficultés“).



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