tout allait bien pour Apple depuis le début de l'année jusqu'à la publication, vendredi 27 janvier, dans le New York Times, d'une longue enquête qui dénonce les conditions de travail de ses sous-traitants en Chine. Leur "indifférence pour la santé des travailleurs" y est décrite comme "inquiétante", tandis que l'article énumère les heures supplémentaires, les dortoirs, les employés qui ne sont pas encore en âge de travailler, les "jambes qui enflent jusqu'à ce qu'elles puissent à peine marcher".
Alors qu'au même moment Apple surfe sur la bonne nouvelle de ses résultats financiers, ces accusations, publiées le même jour, lui font l'effet d'une douche froide. "Apple ne s'est jamais soucié d'autre chose que d'augmenter la qualité de ses produits et de réduire ses coûts de production", estime Li Mingqi, ancien cadre à l'usine Foxconn, l'un des partenaires principaux d'Apple.Courroucé, Tim Cook, nouveau patron d'Apple, envoie illico un courriel à ses collaborateurs, soit 45 000 salariés dans le monde, dont certains en Chine : "Nous nous soucions de nos travailleurs partout dans le monde (...). Toute tentative de dire que nous ne nous y intéressons pas est ouvertement fausse et insultante." Il venait, juste avant, de leur envoyer un courrier bien plus réjouissant, offrant un nouveau programme de ristournes sur les produits Apple. En l'occurrence, des réductions de 500 dollars sur les ordinateurs et de 250 dollars sur les iPad pour tout employé depuis plus de 90 jours. Un programme qui, s'il est justifié par un bénéfice net qui a plus que doublé au dernier trimestre 2011, pour atteindre 13,1 milliards de dollars, paraît déplacé à la lumière des révélations du New York Times.
STRATÉGIE HYPOCRITE ?
Dans la journée, Apple a une nouvelle fois dépassé ExxonMobil à la première place des capitalisations boursières mondiales pour revenir, à la clôture, à 416,4 milliards de dollars (contre 418 pour Exxon), avec une action à 446 dollars.
Mais la firme de Cupertino, grâce à son savoir-faire marketing inégalé, a déjà pris les choses en main pour ne pas troubler son image "cool et créative". Tim Cook peut désormais se vanter d'avoir, en effet, des engagements auprès d'une association indépendante de défense du travail, la Fair Labor Association (FLA), basée à Washington, qu'Apple a rejoint en janvier. "La première visite d'usine devrait avoir lieu au deuxième ou au troisième trimestre", précise la FLA.
Par ailleurs, Apple s'est paré d'un code de conduite publié sur son site et revendique faire des inspections, depuis 2007, aussi bien planifiées que surprise. En 2011, elle en aurait conduit 229, contre 127 en 2010 et 109 en 2009. En cas de manquement au code de conduite, le fournisseur dispose de trente jours pour se reprendre, ou Apple "met un terme à la relation commerciale", assure le dernier rapport.
Stratégie hypocrite de la part de la firme à la pomme ou démarche sincère ? "C'est un geste intelligent de leur part, estime Pauline Overeem, qui coordonne le réseau international Good Electronics (notamment chargée de la campagne "Make IT Fair"). On se demande juste si cela va changer les choses ou si c'est un coup marketing."
L'image d'Apple est en jeu, au-delà de leurs profits. D'ailleurs, Apple, longtemps fermé sur la question, tente de se dépeindre en pionnier, "premier du secteur électronique" à rejoindre la FLA. Mais selon Pauline Overeem, Dell, Hewlett-Packard et Philipps se sont pliés à une initiative équivalente aux Pays-Bas, l'Initiative pour le commerce durable (IDH), alors qu'Apple "a toujours refusé avant de répondre aux ONG".
17 SUICIDES DANS L'EMPIRE FOXCONN
L'organisation d'étudiants chinois Sacom a publié une étude en septembre. A Foxconn, atelier géant qui emploie près d'un million d'ouvriers sur plusieurs sites, les scandales se succèdent. En 2010, après le suicide de neuf travailleurs, un reporter du magazine Wired observait l'emprise d'un véritable "Etat-nation" sur ces ouvriers à la chaîne logés en dortoirs.
Même en Chine, des réactions abondent dans le sens de l'article du New York Times, traduit en chinois par le magazine Caixin. "Quand les gouvernements locaux essaient d'attirer de nouveaux investissements dans leur région, ils mettent toujours en avant les bas salaires qui y ont cours. C'est pathétique !", s'exclame Jiangsu.
Et si les conditions s'améliorent chez certains sous-traitants, on peut craindre "un mouvement continu des entreprises là où les salaires sont bas, vers l'ouest de la Chine ou le Vietnam", estime Pauline Overeem, le tout étant assuré par l'absence de vrais syndicats. La solution trouvée par Foxconn privilégie une alternative à l'amélioration des conditions de travail : à l'été 2011, l'entreprise a ainsi annoncé préparer un plan géant d'automatisation, dans le but de remplacer, à l'horizon 2013, 500 000 employés par des robots.
"C'est dommage que cette compagnie agisse de cette façon, leurs produits sont si efficace"