Magazine

Bel-Ami, ou l’arrivisme couronné.

Publié le 15 janvier 2012 par Agathep
Bel-Ami, ou l’arrivisme couronné.
S’il était une œuvre méritant de facto une place d’honneur au cœur des Lettres du XIXème siècle, ère du romantisme enflammé et de poèmes rédigés d’une encre transie par l’amour qui découlait de la main d’un auteur, nul doute ne peut être admis quant au trône sur lequel pourrait siéger le monument Bel-Ami de Guy de Maupassant. Maître conteur dont le verbe, la voix transcendée, parvient presque jusqu’à nos oreilles tendues, Maupassant est de prime abord évoqué du bout des lèvres, admiratives dans leur retenue zélatrice. Elles choisissent d’elles-mêmes, d’emblée d’effleurer son nom, comme celui qui a su offrir au genre de la nouvelle ses lettres de Noblesse, caractères dorés alors intimement liés à son nom. À l’évidence, se hasarder à la rédaction d’un genre si à part n’est point un possible offert à toutes les plumes vacillantes, et l’écrivain y a maintes fois prouvé, au travers la pertinence impudente dans son talent incommensurable, son sens du mot juste, et son aisance innée à parvenir (avec l’insolent brio de ceux qui ont été touché par un don) de transcender la petite histoire. Le récit, ce texte court que les voix chevrotantes de ces puits de sagesse au regard attendri que sont nos grands-parents prennent un plaisir manifeste à conter, avec la lenteur voulue et minutieusement calculée provoquant l’impatience, l’Attente.Maupassant réalise par la suite un coup de maître de transposer au fil des termes les vibrations palpables, nécessaires à ces courts récits dans son roman Bel-Ami, œuvre que je choisirai aujourd’hui d’appréhender, et ce en m’interdisant toute, même la plus infime, évocation de la sphère journalistique qui offrit à l’arrivisme fait homme l’opportunité inopiné de réaliser sa fulgurante aussi bien qu’infamante ascension sociale, au nez et à la barbe de toute probité, tout honneur ; le linéament même du respect se voyant malmené, « plus foulé du pied qu’un caillou » pour reprendre son immense contemporain, Victor Hugo.
Je commencerai mon propos par une métaphore, touchant le charismatique personnage de Georges Duroy. À mes yeux, à chaque fois que je le suivais dans ses pérégrinations solitaires, il revêtait la peau et la démarche silencieuse, toute en retenue brûlante, d’un fauve étrange qui se voit à l’aise, courant les rues aux pavés sonores de Paris sur lequel rejaillissent la flamme vacillante des lampadaires à l’électricité balbutiante. L’œil en feu, roulant sans cesse aux aguets, Duroy cherche la réussite, traque l’opportunité. Pour se faire, il n’hésite point à profiter de la bonhomie de Forestier, que le hasard place sur sa route en une caniculaire nuit d’été, où l’atmosphère ne veut pesante, suffocante, presque annonciatrice ; comme une Pythie du malheur à venir pour les êtres bigarrés qui croiseront par la suite du récit le chemin de l’arrivisme fait humain. Duroy, encore béjaune à la moustache bien recourbée, ne se doute nullement qu’il venait de plonger sa poigne entière au sein d’un engrenage parfaitement graissé, et qui s’entrechoquera sans fracas jusqu’à mener l’antihéros aux Olympes, les hauteurs d’une société qu’il méprise, l’aisance qu’il brigue avec une ardeur tenant en tout point à une suave folie de l’élévation contre la main du destin qui semblait l’avoir profondément malmené depuis ses premiers vagissements. Moqueur, que le destin au cœur de ces pages ! À ceux qui avaient la candeur d’imaginer le Sort dispensateur de grâces et autres actions de générosités, Maupassant biffe ces concepts cacochymes et laisse couler de sa plume une encre empreinte d’un cynisme rare, la providence crée un être habité par la convoitise et rongé par la volupté, la concupiscence. Se détournant vite de l’empire de la masculinité pour parvenir à mener à bien ses basses besognes qui l’érigeront pourtant au sommet, quoi de mieux que la féminité ? Encore aisément considéré en plein XIXème siècle comme le « sexe faible », Maupassant le fait parfaitement entendre à son pantin Duroy, et c’est par le sentiment qu’il mènera sa quête d’aisance tout autant que de prestige à bien, de par une insolence de l’avenir ; couvant de son regard omniscient le Mal incarné. Serait-il lassé de disséminer le Bien et de ce fait, décida-t-il de faire germer les graines délabrées de la mauvaiseté ? La réponse peut apparaître impunément affirmative.Duroy est rusé, chafouin et ne manque nullement d’astuce. Aussi lorsqu’il voit s’ouvrir les portes d’un emploi grassement rémunéré pour rédiger des articles couchés sur le papier par une plume autre que la sienne, le jeune pédant s’engouffre dans la brèche et avec une patience impressionnante, l’odieux personnage va se construire roche après roche, une façade de fierté qui l’amènera à devenir parfaitement imbu de sa petite personne. Et cela au même instant où, sous les caresses et regards langoureux de la gent féminine, il prend pleine conscience de ses qualités physiques. Fort amusé par ces détours scrupuleux dans sa narration, Maupassant s’attache à nous décrire, usant d’une minutie stupéfiante, ce que je qualifierais de complète métamorphose de son personnage. Là où les premières pages de l’œuvre nous présentent un Georges Duroy gris, sans le sou, et envieux agressif des classes bourgeoises qui semblent le toiser à chacun de ses pas, le lecteur quitte à la fin du roman Georges Du Roy de Cantel, décoré par le ruban écarlate de la Légion d’Honneur (récemment créée) et époux d’un des meilleurs partis de France. Devenu envieux des suites d’assister à l’étalage impudent de la richesse insolente de ses nouvelles fréquentations, de l’attitude dispendieuse des femmes, Duroy s’avère également témoin de la réussite flagrante de son patron, M. Walter. La somptueuse fête donnée à son domicile, digne de l’étalage du triste Nicolas Fouquet, est la goutte qui fait déborder le vase de l’arrivisme de notre héros. Plus que jamais, il désir tout, tout de suite, mais sans jamais se départir de sa circonspection savamment calculée et admirablement maîtrisée. Car s’il est une qualité que l’on peut reconnaître au personnage principal c’est que, n’en déplaise à nos amis Freudiens, le coquin est parfaitement maître en sa propre maison.Or, à force de les fréquenter et de constater leur omniprésence dans le quotidien et la prise de décision de ses collègues et amis (si tant est qu’il les ai jamais considérés de la sorte), Duroy entend assez vite que ce ne sont point les hommes puissants qui énoncent les règles du jeu, mais bien leurs femmes. Frisant alors ses moustaches, une expression de pleine satisfaction peinte sur ses traits, Georges se lance sous les yeux du lecteur dans un véritable ballet de séduction, au cours duquel il croisera et apprendra à connaître plusieurs types de femmes. Pour mener à bien mon propos, je n’en retiendrai que trois, qui figurent à mon sens les extrêmes, les faiblesses et les contradictions de cette fin de XIXème siècle enclin au changement, à l’évolution inéluctable. Clotilde de Marelle, la soumise ; Madeleine Forestier, la fière ; Virginie Walter, la transie. Trois caractères importants de dépeindre, pour comprendre comment Duroy a pu les exploiter chacune à leur tour. J’espère que vous ne me tiendrez point rigueur d’écarter volontairement le personnage fade de la petite Suzanne qui n’est pour moi que l’aboutissement du machiavélisme génial de Duroy.Toutes victimes de son verbe acéré, de son regard profond et affable, elles se laissent prendre au jeu, se faisant chérir et cajoler à l’excès. Notre héros sait parler sans ambages, sans s’égarer dans des agiotages qui pourraient lui faire perdre son emprise sur la femme lorsqu’il se lance dans ce jeu de séduction malsain, où le mensonge et l’hypocrisie se disputent la mainmise sur le discours de Georges. L’éducation étouffante que recevaient encore les femmes de cette époque n’aident point à discerner ces défauts pourtant évidents, et seule l’une d’entre elles saura se défaire de son influence, se jouer de sa fausse aménité : Madeleine. Prenant amant, s’amusant parfois à « jouer l’homme » et se drapant dans une contenance qui force le respect lorsqu’elle est surprise en plein adultère, elle assume pourtant jusqu’à la fin son choix d’avoir choisi l’indépendance intellectuelle tout autant que financière, et de s’être moqué de Duroy entre-temps devenu son mari ; un fourbe qui n’aura pas hésité un seul instant à la tromper et lui voler en toute impunité une partie de son héritage.Malheureusement, là où une morale est toujours énoncée à la fin d’une nouvelle, ici le Mal triomphe. En grande pompe, quand Georges marié à la jeune et innocente Suzanne Walter, lui donne accès à une richesse incommensurable et un titre de noblesse inespéré. Jusqu’aux dernières lignes, on se place dans l’expectative d’une chute. On attend de Mme. Walter qu’elle se lève telle une furie blessée dans son amour propre, et que dans un hurlement, elle révèle toute la supercherie, la tromperie, au moment des noces de sa fille. Espoir déchu, elle restera murée dans son silence, comme étouffée par ses larmes de femme abandonnée par son amour. Toujours, ce maudit carcan social.

Retour à La Une de Logo Paperblog