Magazine

Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie

Publié le 29 décembre 2011 par Agathep
Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie
C’est un décor enchanteur qui se déroule sous nos yeux, découvrant peu à peu ses enchevêtrements, comme un écheveau de laine perdu dans les pattes d’un chat ; ou le monotone dispute le terrain aux extrêmes et au primaire. N’ayant jamais eu l’immense bonheur de me rendre si loin de l’Europe et à deux pas de l’Asie, je me réjouissais à l’idée de découvrir quelque peu cette nature pure et sauvage des régions sibériennes.
Je commencerais en tirant en premier lieu mon chapeau. Au niveau des descriptions, on ne peut nier que Sylvain Tesson ne lésine point sur les détails, sur la minutie. Tant de précisions, se rapprochant presque d’une volonté de déstructuration, de son univers blanc, permet au lecteur de voir au travers de la page de papier et de lettres imprimées. Il est transporté avec l’auteur, embourbé en même temps que lui dans la neige, roidi par la glace, et après plusieurs pages tournées, le bout des doigts paraît comme engourdi par une bise imaginaire figurée par un choix de termes judicieux et intelligemment distillés.

Cependant, force est de constater que les bons points s’arrêtent là pour se voir ensevelis sous un tas de défauts, à l’image de ces neiges qui ont constitué la majorité du quotidien de l’auteur durant ces six longs mois sibériens. Car à trop vouloir nous ouvrir son cœur en exprimant une grande part de ses sentiments, Tesson semble malheureusement avoir glissé vers l’extrême opposé, en livrant au lecteur un florilège d’égotisme presque amusant ou terriblement inquiétant – c’est selon-, manquant de nous donner une indigestion violente. Le nombrilisme s’en retrouve déifié, élevé au rang de point central de son récit. Cette quête était probablement celle d’une humilité bienvenue au cœur de notre monde où tout est bien trop rapide ; et pourtant l’on se retrouve avec entre les mains une profonde et ainsi repoussante élévation de l’égo. Un malaise s’installe à une vitesse affolante, où le lecteur devient une sorte de complice de cet étonnant aventurier faussement humble, parti loin du confort non pas pour une quête fondatrice mais bien pour un défi qu’il a accepté de relever pour pouvoir s’en enorgueillir dès son retour à la vie dite civilisée. Tesson laisse ainsi transparaître au milieu de cette volonté de puissance dégoulinante une glorification personnelle, qui ne saura sur le long terme flatter que le « je », ce petit mot au contenu rendu insipide par l’auteur en moins de trois cent pages. Voilà un exploit qui devrait davantage s’éterniser dans les mémoires.
Et puis, il y a cette horloge qui semble autant obséder l’auteur. En s’enfermant dans sa petite isba, Sylvain Tesson semblait chercher une forme de paix qui passe par la contemplation extatique du « temps long », celui où il n’est nul besoin de se demander l’heure ou de consulter un quelconque agenda. Cependant, au fur et à mesure que le récit progresse (laborieusement, comme des longues marches solitaires sur le merveilleux Baïkal gelé), il en vient à se figurer qu’il devient possesseur et maître de son propre temps. Folie mégalomaniaque d’un homme lassé du quotidien expéditif et stressant de nos sociétés occidentales ? Un ras-le-bol est parfaitement compréhensible, mais comme nous le rappelle très justement l’écrivain américain William Faulkner, dans le célèbre passage dit de la montre tiré de son oeuvre The Sound and The Fury : “I give it to you not that you may remember time, but that you might forget it now and then for a moment and not spend all your breath trying to conquer it.”Il m’est avis que face à l’immensité calme, parfois effrayante de par l’uniformité même de ces neiges russes, quelques instants de silence auraient été les bienvenus, et en tant que lectrice, j’aurais ressenti le plus grand des plaisirs à les goûter en même temps que l’ermite volontaire. Au lieu de cela, je serrai entre mes paumes un brouhaha infini, entretenu par ce constant besoin de se rassurer émanant d’un auteur perdu, au sens propre comme au figuré. La vodka est un fléau, me direz-vous. Je répondrais que l’autosatisfaction l’est tout autant.
Enfant, j’étais également de ceux qui enviaient Robinson, soupirant face à cette merveilleuse aventure humaine où, seul face à l’inconnu et la peur, seul le courage et la volonté de vivre nous pousse à apprendre ex nihilo, jusqu’à parvenir à se bâtir une existence tant empreinte de bonheur que le retour à l’original nous semble subitement insensé, inenvisageable. Quelques années plus tard, une nouvelle lecture me fit prendre conscience de la dimension profondément esclavagiste de l’œuvre de Daniel Defoe ; nous sommes alors au début du XVIIIème siècle, et le colonialisme bat son plein. Si Tesson s’est figuré en une sorte d’étrange et ubuesque nouveau Robinson Crusoe, la comparaison ne peut cependant malheureusement se faire qu’au niveau de l’isolement, néanmoins totalement fortuit chez le personnage de Defoe là où l’exclusion est voulue, préméditée, recherchée et enfin vantée par Sylvain Tesson ; l’auteur la veut révélatrice, salvatrice. Mais est-il nécessaire de partir s’isoler au bout du monde au sein d’une nature luxuriante de sorte à parvenir à mettre la main sur ses qualités, et réussir à écrire tout simplement ? Tesson devrait relire les grands hommes de plume de ce monde, qui y sont parfaitement parvenu du fond de leurs chaumières. N’a pas ce talent qui veut.
Concernant le style d’écriture, le premier mot me venant à l’esprit serait celui de la déception. Je regrette profondément que, par exemple, l’omniprésence du danger de par le fait qu’il se trouvait environné d’ours et de meutes de loups ne soit absolument pas retransmise, et on reste tristement de marbre lorsque les premières créatures finissent par pointer plus régulièrement le bout de leur museau dans le récit. De plus, la sècheresse des émotions et des sentiments s’avère affolante, alors que la volonté était toute autre au départ. Car qu’est-ce qu’il cause, cet isolé volontaire ! De tout, mais principalement de rien, parfois en faisant usage d’une vulgarité qui n’a pas sa place au milieu des pages d’un livre ; et le lecteur se demande si Tesson ne cherche pas à magnifier la notion de néant afin d’essayer de capter l’attention de l’acheteur du bouquin qui pique du nez après la quantième contemplation des glaces craquelées du Lac Baïkal. L’auteur, semble-t-il, ne sait pas encore créer des attentes passionnantes et contemplatives, mais je me garderai bien d’être pessimiste : peut-être cela viendra-t-il ! La seule grande nécessité qui m’apparaît de prime abord est que l’auteur doit prendre conscience qu’un style littéraire prenant et incisif ne consiste pas à s’évertuer à ne jamais écrire une phrase dépassant les dix mots (les jours de grande motivation). Même si je suis encline à croire que de nos jours, les pages proustiennes n’aident pas à faire fortune, tomber dans l’extrême inverse en devient un jeu d’enfant ridicule, et l’auteur s’est précipité dans ce piège, agaçant le lecteur par une surexploitation des points et du rébarbatif schéma type : sujet-verbe-complément, et voilà tout. C’était un journal ! me jettera-t-on à la face, et par moins dix degrés, on ne songe pas forcément à construire de longues phrases. Certes. Mais lorsque l’on se targue au fil du bouquin que l’on lit Schopenhauer, Nietzsche ou Casanova, la moindre des choses est de leur rendre un tant soit peu hommage.Au-delà de la critique, c’est donc surtout une déception qui m’habitait lorsque j’eus refermé le livre de Sylvain Tesson. Cependant, ma curiosité est aiguillonnée, et je n’hésiterai point à acquérir le prochain travail de ce dernier, en espérant que les mêmes faiblesses ne se verront pas répétées.

Retour à La Une de Logo Paperblog