Il ne s'agit ici, maintenant, que de Mr Bee et de Miss Rosalynn. Bien modeste et bien simple historiette.
Se rencontrèrent-ils sur les planches d'un music-hall installé le temps de cinq représentations au casino de Berck-Plage en mille nonante pétante treize ou chez un bouquiniste de leurs amis qui avait sa boîte tout près du pont Marie, côté île Saint-Louis, et qui, pour la petite histoire, transportait quelques cartons l'été pour vendre au touriste connaisseur, esthète et fortuné entre Dalbade et Daurade à Toulouse (Il joignait ainsi l'utile à l'agréable sans jamais lâcher ses livres. Tout en travaillant à la belle saison il avait l'impression d'être en vacances, disait-il, dans la ville rose.) ce bouquinophage hors pair, spécialiste s'il en fut, tout à la fois de Jean-Henri Fabre, du comte de Buffon, de Pierre-Joseph Redouté et d'Onésime Reclus (fils de Jacques et de Zéline, frère d'Elie et d'Elysée) dont le monde presqu'un siècle après sa mort loue encore tout à la fois les travaux considérables qu'il apporta à la science géographique et l'invention du mot "francophonie" ?
L'histoire, cabotine et bêcheuse -étant principalement gourmande des grands évènements- ne précise cependant pas exactement où eût lieu leur rencontre.
Quoi qu'il en soit, elle rapporte par contre la bizarrerie patronymique du lieu de naissance de Mr Bee. Mais la naissance n'est rien. Ce qu'on fait par la suite dans une vie, est beaucoup plus intéressant. Peu de monde connaît Llanfair. Llanfair c'est un gros village gallois de 3 000 h. On pourrait arrêter là la description car ça ne présente strictement aucun intérêt, mais il nous faut donner des précisions qui ouvrent en grand les portes du Guiness book. Llanfair c'est beaucoup plus compliqué que ça. Llanfair est mondialement connu pour ses cinquante-huit caractères. Llanfair ne se prononce pas, Llanfair ne s'orthographie qu'avec la plus extrême des difficultés pour le non-initié, presque impossiblement car il faudrait alors s'appliquer pour écrire et dire : Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch ! Pour faire court, Mr Bee est donc né d'une maman galloise et d'un papa picard à Llanfair mais il revint très vite habiter sa Picardie paternelle, dans, ça ne s'invente pas, vous le croirez ou non, le modeste village... d'Y.
C'est là qu'il grandit. Façon de parler car il ne dépassa jamais la taille de cinq pieds pile à l'âge adulte. Là qu'il apprit avec science, rigueur et grande passion mais obligatoirement à cause de son nom le métier d'apiculteur qui s'exerçait dans sa famille depuis quarante-quinze générations. Il rencontra donc un jour Miss Rosalynn qui était aussi petite que lui, merveilleusement belle, frêle, modeste et courageuse,qui pratiquait le métier atypique de dresseuse d'écureuils célestes. Une espèce endémique de l'île océano-australe de Niou Zi - encore appelée "l'île du long nuage blanc-blanc" - vivant dans les forêts impénétrables, denses et humides qui couvrent les flancs du volcan Ruapehu-Kipète. Les petites bê-bêtes étaient dangereuses, vives, pourvues d'yeux facétieux, de molaires curieusement pointues (caractéristique unique dans le règne animal) et de griffes acérées, leur pelage était roux comme pratiquement chez tout bon écureuil qui se respecte, avec cependant la marque de leur race qui était une fine et douce toison bleue qui leur poussait exclusivement sur le ventre. Très appréciées comme réveille-matin, et vendues à prix d'or dans les animaleries, parce qu'aussi elles étaient particulièrement propres quand elles étaient bien dressées - bien éduquées devrait-on dire - ces bêtes étaient quand même, hélas, survivantes d'une espèce en voie de disparition, la fourrure de leurs ventres bleus faisant les choux-gras de braconniers sans-srupules à la solde de fourreurs avides de gains mal-z-acquis et les délices de pulpeuses chanteuses de disco-rétro qui avaient mis à la mode la sexy-folie de mini soutiens-gorge en authentique fourrure bleue.
L'histoire de Mr Bee et de de Miss Rosalynn est toute simple. Bête comme chou (pareille expression me ravit à chaque fois qu'elle se promène sur le bout de ma plume, me surprend et m'étonne aussi, je serai bien enclin à feuilleter les pages d'un ouvrage scientifique tendant à démontrer de façon irréfutable la stupidité des représentants du genre Brassica). Ils se rencontrèrent donc, s'aimèrent mais n'eurent pas d'enfants au grand dam de la famille Bee, pas de la famille de Miss Rosalynn qui n'avait pas de famille justement. Les ruches et les écureuils célestes leur suffisant disaient-ils à qui voulait les entendre, remplissant largement leurs vies respectives.
Ils décidèrent un jour de rompre les amarres. De faire le grand saut. Mais pas un saut morbide. Ils habitaient depuis des lustres pour le côté pratique dans un ballon dirigeable gonflé à la dérision volatile et à l'hélium incertain, il leur fut donc facile de rompre les amarres. Quelques jours auparavant ils avaient chargé les ruches dans les coursives, les écureuils aux griffes préalablement limées pour qu'ils n'abimâssent point la structure des enveloppes fragiles, étaient laissés libres dans la cabine.
Ils survolèrent les mers et les océans, les sables des déserts, les savanes, des villes riches et prospères, des bidons-villes, des décharges d'ordures aussi, des lagons turquoises, le voyage dura, dura, dura très longtemps. Sans anicroches aucune. Les abeilles se nourrissaient grâce aux pots de miel embarqués. Les écureuils faisaient les fous dans les cordages et des petits leur naissaient. Mr Bee et Miss Rosalynn s'aimaient et n'en finissaient pas de regarder les paysages défiler sous leurs yeux émerveillés. Les vents, les éléments, étaient favorables, même si dans leurs vies les dieux, comme l'ennui, étaient inexistants.
Un beau matin ils arrivèrent au-dessus de l'île de Niou Zi. C'était le but de leur voyage, le rêve de leurs vies. Les écureuils célestes en pouffaient de rires joyeux ! Tous et tout excités, ils disaient dans leur langue : "maison, maison, maison, en désignant bêtement des arbres grands et banals..." Ils avaient vu aussi se profiler au loin le volcan Ruapehu-Kipète.
Mr Bee mouilla l'ancre au-dessus d'une clairière. Le volcan fumait joliment. C'est alors qu'une soudaine et brutale éruption cracha ses flammes, vomit ses laves, éructa sa poussière, ses cendres, ses bombes, ses pierres ponce, quelques ratons laveurs et ses nuées ardentes et reduit à néant et le ballon, ses occupants : les ruches et les abeilles, les écureuils célestes aux ventres bleu, Mr Bee et son amour Miss Rosalynn...
Il neige en France aujourd'hui, alors devant mes carreaux, je pensais à cette histoire sans queue ni tête. Je pensais à Mr Bee, à Miss Rosalynn qui s'évadèrent en ballon et qui finirent en poussière... Au fait... Il est grand temps que j'arrête de glander, que je fasse le ménage chez moi... j'ai bientôt des invité(e)s