Souterrain

Publié le 01 février 2012 par Thywanek
Nous étions tant épris de jardins et de squares. Et des rues. Et des rues pleines de notre spectacle. Devenu cela. Suites de spirales aux regards gyrophares. Et des rues et des parcs. Des forêts renversées en bousculades de tintamarres. Mais tant épris quand même tant que nous y trouvions de ces hanches guerrières aux cadences ensoleillées. Et les affairements studieux et génitifs de nos intimités publiques. Et chacune et chacun une coupure dont les angles et les coins correspondent. Un parc d’attraction. Tendus de quelques chapiteaux où l’on pouvait voir encore se jouer le sérieux contingent de quelques drames anciens. Comédies rituelles. Farces enracinées. Contes à dormir tranquille. Une ronde illuminée et ses fanfares électriques. Une foule de nous entre des palais et des taudis. Sur le socle encombré de nos dynasties insubmersibles. Engeances débattues de dépassements comptables, de costumes à crédit, et de maxillaires sentimentaux. Saisons choyantes selon pluies et vents dans des bocaux d’oubli aux transparences de loupes.   
Et puis quoiNous étions tant épris de distractions. Fabriquer les siècles à passer en berceuses violentes aux jambes saturniennes. Elever chemin faisant des musées insolites plein d’accomplissements aux bouches bées. Défier l’invisible fin ainsi qu’on traquerait l’injustice dans un tribunal désaffecté. Etendre les cimetières pour s’éterniser en pure perte et en peines testamentaires. Et produire de l’amour comme on concocte des onguents en luttant contre le paradoxe de sa dureté, de ses odeurs, de ses mots péristyles, de sa colère barbare, de son abandon aux serments inaliénables. Et puis rien.L’immobilité même, simple posture, hypothèse d’un en-soi, calme, chétif, à peine irisé par l’air du temps passant, presque enfantin à la manière d’un paisible entêtement, semblait désormais impensable. Son doute extrait, organe dérobé, au bénéfice d’un verbe pullulant qui s’en assaisonnait en mal d’un édulcorant de bon aloi, d’un sédatif satiné. L’abstraction réduite en hochets. L’absence en désertion. Le silence en manque à gagner. La laideur magnifiée. L’immortalisation de l’immédiateté. Les cultes évidés. Les hauteurs envahies par un manège unicolore à force de tourner à la vitesse illusoire pour que plus rien n’en tombe et que tous le regardent. Nous étions tant épris de jardins et de squares. Et quelquefois occupés d’un indicible instinct nous cherchions à tâtons, traversant de nos yeux ébahis les infinis de notre inconnaissance, à retrouver les rênes d’un attelage imaginaire pour tenter d’en regagner la conduite devenue folle. Cavalcade enivrante. Nos montures s’émancipaient de toutes contraintes. Tout soupçon pulvérisé sous des rires gavés d’innocence. Crinières claquantes. Bouches aux mors écumants. Sabots fracassants les pavés et faisant naître dans la poussière des ascensions de génies omniscients. Et qu’importait, ici ou là, les quelques demi vivants venus dans les parages glaner fugitivement un peu de la fureur et de la puissance passée en un éclair sur leurs carcasses rescapées.Tout filmé. Enregistré. Et montré à l’envie. A ne plus avoir pied et croire encore avancer. A ne plus avoir à cœur qu’un engrenage avide de sensations précipitées et d’angoisses de plomb. D’émois calibrés à l’aune de modèles phosphorescents. De rêves rechargeables aux batteries des échangeurs.   Et puis plus rien.Un interrupteur miraculeux. Une cassure de la providence mielleuse rattrapée dans une impasse. Abolition subite du sens le plus aiguisé de la survie en tant que proie du ciel.  Ensuite un filet d’eau lourde repéré sous mes pas. Dont je suis la déviance rectiligne dans un caniveau méprisé. Une trappe de fonte. Quelques barreaux d’acier chevillés dans une paroi suintante. Quelques barreaux pour descendre en cachette dans les premiers dessous. Et dés le premier pied posé sur la pierre du quai étroit en bas duquel coule l’égout, le son du talon sec court les mats échos des premières voûtes. J’avance, sans aucune prudence. Une pente, un coude, un escalier de roche sur le flanc d’une cuve. Un autre quai poisseux. Mes pas que multiplie, ironique, la pierre dégoûtante. Les relents asphyxiants s’épaississent. Je ne te cherche pas. Je sais quand tu paraîtras. Lorsque qu’assez vidé de tout ce qui gangue mon nerf incisivement lacéré, après avoir vomi toute la langueur dont je caressais mes appétences biophages, vomi jusqu’au goudron dont s’embaume mon crime, vomi jusqu’au bouts de verre dont tintinnabulait ma mascarade, vomi jusque du tréfonds de mes poches vitales, il y a enfin la place pour que je crie. Et qu’alors je crie. Je te crie.   Je te crie dans le noir. Dont tu retrouves si indéfectiblement l’adresse des souterrains. Et tu es là je pense. Je le sens. A peine besoin de te deviner. A peine besoin de nous apercevoir. Que tu me sentes toi-même. Sale, débraillé et hagard. Fuyant, tu sais, encore fuyant. Réfugié là où seule, peut-être, une lueur encore aurait de l’importance. Là où, sait-on, la barbarie devait s’arrêter. Là où nous devions demeurer plus longtemps qu’on ne fit. Tâchant, dans l’inexistence alors du vacarme, de capter quelque chose entre l’onde hasardeuse de notre chair provisoire et l’irrécouvrable histoire déroulant autour de nous son insoluble cosmos.Je te crie. Et tu es là.Rituel recours aux débords incongrus. Paix primale et tumultueuse du temps du choix de naître ou pas. Je viens te voir. Avec ma mise à mal. Mon jour énucléé. Ma blessure muette. Mon verbe qui ne panse que le foie de Prométhée. Et ma gentille petite échéance fatale qui m’attend sans compter. Tu es là. C’est toi que j’entends perdre ton souffle rauque dans ces tunnels puants. Lézard dépenaillé à l’écaille gluante. A peine encore debout, courbé comme la voûte humide du dédale où coulent les eaux les plus mortes et les mieux habitées par toutes les vermines les plus stupides et certaines, pourquoi pas, les plus désespérées. Depuis ces millénaires, dizaines de millénaires, que nous nous connaissons, nous n’avons pas changé. Excepté la surface. Et tes antres autrefois une simple caverne. A présent ce réseau de citernes et de canaux charriant et retenant toutes les fanges, tous les résidus, tous les ferments, toutes les boues, toutes les indigestions.Au gré d’une salle plus haute que les autres où s’évasent quelques couloirs réunissant leurs flots pestilentiels, une tombée de lumière blanche venue d’un soupirail se dissout, petit peu de lait maigre dans des vapeurs de marécage. Remontant du fond d’une citerne, œuf plein de pourriture, une étrange forme d’ampoule flotte de temps à autre, luminescence verdâtre, enfle comme un ballon dont la peau de plus en plus fine dissimulerait le filament d’un phare, et finit par éclater, gênant brièvement d’un éclat sardonique l’obscurité grasse de remugles.Plat de la main suivant la muraille visqueuse je me guide jusque là où si proche de toi je flaire au plus près ton flanc froid. Tu dardes sur moi l’onyx luisant de tes yeux impassibles. Je perçois ton tout petit cri à toi. Ton tout petit cri si peu audible. Malingre contraction de ton larynx qui fait un grincement de deux membranes rugueuses aux secrétions amères. Vilain couinement, reste d’effroi bestial empêché depuis longtemps par l’usure. Nous n’avons pas à nous reconnaître. Une de tes pattes, agile et griffue, m’attire contre ton corps épouvantable. Puis avec la seconde, d’une tendresse alcaloïde, tu me presses à m’étouffer sur tes entrailles emplies de vases mystérieuses. Qu’il n’est de lieu ni saint ni haut, ni témoin de beauté, ni fourni de grandeur, qui puisse les imiter. Puis tu serres ma nuque et tu plonges dans mes yeux ton regard de saurien. Ton regard ressorti du fond de l’insu des âges. Ton regard d’avant les premiers mots. D’avant même la toute première idée d’en dire. Ton regards d’avant les premiers feux. Ton regard d’avant la première mort. Ton regard d’aube impénétrable plein du récit sauvage des séismes initiaux. Ton regard, peut-être, au décret définitif sur le tout premier os devenu arme. Et comme je contemple dans tes yeux durs cet abîme dont je suis, tu ouvres lentement tes mâchoires de corail, penche au dessus de moi ta lourde gueule béante, et y enfouit ma tête, dans une nuit puante, baveuse et salvatrice. Et dans un même mouvement tu m’affales avec toi et nous roulons jusqu’au gouffre d’où ne plus revenir. Non je ne crains plus rien mon repos véritable. La chute enfin la chute, dans le chaos premier d’où tout a cru fleurir. Nous nous serrons si fort mon monstre sage et doux. Et je revois les épées nues. Et avant elles. Les méfiances charnelles. Les craintes de soleil. Les hécatombes océanes. Les frayeurs lunaires de perdre le sommeil et le somme envahi de vivants à venir. La foi déjà stérile et le sort souverain. Je n’ai enfin plus rien que vivre de nouveau. Et quelques naufragés sur la plage plus tard. Toute la tragédie est à réinventer. Nul n’a péri car nul ne fut. La mémoire du futur n’est que spéculation. Et s’il faut qu’être soi se réveille ce sera, ô mon monstre adoré, lorsque tu me vomiras de nouveau. Avec à peine des pattes et à peine un museau. Avec un cœur à peine, à peine un projet de me remettre debout. Pourvu que ne pas croire que des dieux soient volcans. Et qu’aucun d’entre eux ait voulu tout cela. Que n’en finisse plus cette chute d’entre leurs mains invisibles, inexistantes et sans charme. Ma tête dormante dans ta gueule savante. Je réécris ton amour tel que sans intention jamais. Un air inspiré et c’est tout. Expiré pour plus tard. Sans socle et sans manège. Sans victoire sans défaite. Juste un fleuve qui passe et qui dévaste et on y est plus vaste qu’un ruisseau, un caniveau, qui nous mène où mener notre trésor intime. Au plus rien qui fait l’air dont les arbres respirent. Ma tête dormante dans ton affreuse gueule. Et le vent de la chute qui nous glace et nous brûle. Et reprendre le cours là où il nous a laissés au moment de nous assassiner. Pour une erreur prêtée au ciel impavide. Pour une comédie saugrenue. Pour un toit sur le monde le plus grand conquis. Une lèpre jalouse subjuguant les enviés. Et la mort ! Et la mort qui n’en a rien à faire ! Je la vois en filant vers le fin fond de tout. Pauvresse famélique. Rien plus qu’elle n’a de patience. D’ailleurs s’achève souvent le vertige de l’autre scène au bord de ses états lorsqu’elle sait que tu sais. Et que ce n’est pas le jour. Ni sa sombre dérivée. Et qu’elle te remercie seulement de songer, parfois, à sa misère terrible. Ô ma chute enivrante dans ta gueule précieuse. Le gouffre n’est plus d’heures, ni de jours ni d’années. Le temps qui est compté mesure des petitesses. Mon âge est retenu dans des saisons sans sable. Moi-même dévorant ma chance de rouage. Moi-même dérobant une lignée guerrière. Retraversées les ruines, les excavations, je loge en plein milieu où rien ne me retient. Ô mon lézard moi-même, haine de quoi suis-je. Mon fol état lointain de mutation factuelle. Tu m’emportes, m’entraînes, et tu n’es que consolation. Une drogue dissimulée dans mon envers atavique, dans mon huis clos notarial. Et je sais déjà que tu me laisses sur un quai crasseux sous un soupirail morne.Que je devrais finir sans toi.Oui, tu sais : je l’écris comme ça pour rien aussi. Pour le rien que tout est, avant qu’il revienne me saisir par l’oreille douloureusement ankylosée. Lorsque j’ai fini de t’écouter, livide et suant, et que tu veux bien aller redescendre dans la lumière close de sous toute chose. Tu me laisses tant épris de jardins nus. De début inconscients. De mots en goutte à goutte hésitant sur des siècles à dire un verbe ou deux. Je te revois à mon réveil, la tête encore pleine de ta salive sucrée. Tu te tournes vers moi au moment de disparaître au détour d’une galerie. Ton pas lourd, pesant. Ton regard toujours fait d’une question muette. D’une insoutenable tristesse. Malade de quelque chose à advenir. Qui n’advient pas. Sous la chiche lumière qui me pleut du dessus je reviens interdit. Et mes yeux, et ma bouche, et mon geste, vont mettre un temps perdu à me refaire surface. Qui étais-je tant épris. Qui étais-je déjà.