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Ambassadeurs malgré nous

Publié le 02 février 2012 par Insideamerica

Ambassadeurs malgré nousEn dehors de son pays, on devient de fait un représentant de son pays. Immanquablement associé à sa culture, son histoire, ses dirigeants politiques et ses célébrités. Vouloir s’en détacher n’est pas une option. Qu’il soit subrepticement masqué sous un accent de language ou ostensiblement étalé sur le dos d’un t-shirt, on conserve le tatouage de son pays d’origine.

Les années passées hors de France ne changent rien à l’affaire. Comme les voyageurs d’un jour, les expatriés de toujours doivent s’attendre à répondre de leur nation d’origine dans son ensemble, même s’ils n’en partagent pas toutes les valeurs et que cela les place dans une situation personnelle inconfortable.

Il n’est donc pas rare que je me trouve pris à parti par des Américains, qu’ils soient amoureux de la France, inquiets de la santé de son économie, offensés par son anti-américanisme, curieux de culture française, ou les quatre à la fois.

Chez le coiffeur, ça commence le plus souvent par « Ah Paris ! J’ai visité cette ville une fois il y a vingt ou trente ans*… » suivi d’un silence qui me laisse généralement le temps de fourbir une réponse à l’une des deux anecdotes qui suit immanquablement : a) « Vraiment, on a tort de penser que les français ne sont pas accueillants et même les chauffeurs de taxi étaient aimables avec moi. » ou b) « Vraiment, c’était une terrible expérience et j’ai eu le plus grand mal à obtenir un simple café (américain) ». Je suis en général de bonne humeur chez le coiffeur et m’efforce d’offrir la meilleure image possible de mon pays en confortant les « a » dans leur perception positive d’un Paris où les chauffeurs de taxi chantent Piaf avec des vibratos au passage des pavés de la Concorde, ou en présentant les excuses de la nation aux « b », tout en leur recommandant le Starbuck de Saint André des Arts pour leur prochaine visite.

Les opinions sur la France de mes collègues ou amis sont généralement mieux documentées et leurs prises à parti plus pointues. On m’interrogera donc en septembre sur les conflits sociaux, en janvier sur la couverture maladie et en août sur les congés payés, avec une attention particulière toute l’année sur les qualités comparées de notre alimentation. Malgré les années passées à vivre et travailler avec eux, ils continuent de me voir en porte-drapeau de la nation française quand l’actualité se tourne de l’autre côté de l’Atlantique (chose heureusement assez rare).

Sommé d’expliquer nos différences, il m’est souvent difficile d’adopter un point de vue objectif que pourrait partager tous mes compatriotes, qu’ils soient alsaciens ou parisiens, porte-parole syndical ou créateurs d’entreprises, scientifiques ou membre du clergés, instituteurs ou médecins, banquiers ou Dani the Red. Et même si je m’efforce d’éviter la caricature, je dois être un piètre ambassadeur de la France.

Paradoxalement, il m’est plus facile de dépeindre la culture américaine. Observateur en ce pays, les traits saillants m’apparaissent plus rapidement, et je crains moins d’en trahir les nuances et la nature cachée.

Il faut un miroir pour mieux se voir soi même, et ma conclusion est que les étrangers sont sans doutes mieux placés pour décrire la culture du pays où ils vivent, sans état d’âme. Après avoir lu au début de notre expatriation ce qui pouvait se lire sur l’Amérique par des français, je me suis donc plus récemment plongé dans ce que des américains immergés dans la culture française pouvaient écrire sur la France. Dernier en date, j’ai dévoré ce week-end « Au Contraire! Figuring out the French ».  

La lecture est parfois cruelle. Par exemple, et même si c’est vrai, il est difficile d’admettre comme l’explique l’auteur que :

A sa racine, l’individualisme français se nourrit de la négation de l’autre**. Les français ont un besoin viscéral d’affirmer leur identité au détriment des autres (…) Le sentiment général est qu’il y a peu à gagner des idées des autres, et que ses propres idées ou sa satisfaction personnelle est toujours plus importante. » 

A l’inverse, et même si c’est vrai aussi, il m’est tout aussi difficile d’affirmer sans paraître arrogant que :

 La France a apporté la civilisation, la culture, les arts et la connaissance à la planète bien avant que les Etats-Unis ne soient même fondés. La gloire de la France est l’un des plus nobles ornements du monde. »

Il faut toute l’arrogance américaine pour bien dépeindre la France, et pour cette dernière citation seulement, je renverrai désormais tous mes amis américains à ce livre écrit par leurs compatriotes, plutôt que de jouer le rôle d’un bien trop médiocre (et modeste) ambassadeur de France !

* Vingt ou trente ans correspond visiblement à un pic de fréquentation. Paris semble depuis avoir perdu de son attrait auprès des clients de mon coiffeur.

** Contrairement à l’individualisme américain qui lui, a besoin de l’autre pour se renforcer. Il est en effet impossible à un américain de s’affirmer sans le regard, l’approbation, et si possible l’estime des autres.


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