« Les sanglots longs/ des violons/ de l’automne/ blessent mon coeur… »

Publié le 05 février 2012 par Stella

Ce poème de Verlaine, Chanson d'automne, est comme un fragment de la désespérance. Il illustre bien mon histoire de ce jour.

Elle est arrivée dans son petit manteau d'hiver, le foulard tombant sur ses cheveux coupés très court, les yeux battus d'avoir trop pleuré, mal dormi. Elle s'est assise, épuisée, sur le bord d'une chaise et, devant une tasse de thé qui peinait à la réchauffer, elle a parlé. Elle a raconté, enfin et longuement, sa détresse, sa solitude, son bonheur déçu.

Il y a quelques jours encore, elle arborait fièrement son histoire d'amour et le merveilleux voyage qu'elle allait entreprendre. Paris, Rome, Bruxelles, trois grandes capitales européennes à peine dignes de l'accueillir, elle et son amoureux. Pour les trois premiers jours à Paris, elle m'avait fait réserver à prix d'or, dans l'hôtel qui jouxte mon domicile, une chambre fort à propos intitulée "supérieure scintillante romantique" pour deux personnes. Je ne l'ai pas vue, mais j'imagine... Il n'était question que de visiter la ville à pieds en se tenant par la main, de dîner en tête à tête, de me rendre visite, aussi, pauvre petit moi qui n'avait pas cette chance inouïe de faire un pareil périple en similaire compagnie. Je redoutais la rencontre...

Il faut dire qu'existe entre elle et moi un lien complexe et subtil. Il est fait d'une double forme de fraternité : je suis plus jeune qu'elle mais dans certains domaines, j'ai exercé davantage de responsabilités et j'ai un parcours plus long et plus important que le sien. J'ai une culture qu'elle n'a pas. Du coup, ça l'énerve un peu et elle ne rate jamais une occasion de me faire comprendre que je suis la plus jeune, que je lui dois du respect, voire de l'obéissance. Elle a une petite tendance à me faire tourner à tous ses tours et j'ai une légère propension à me méfier de ce qu'elle dit, ou fait. Je redoute d'être un peu manipulée. Gentiment, mais quand même... D'un autre côté, je l'aime beaucoup. Elle est généreuse, entière, douce et gentille, compréhensive, presque maternelle. J'ai envie de lui faire plaisir, de la faire sourire. Je suis heureuse lorsqu'elle rit. L'autre versant de notre lien est fraternel sur un autre plan, indirect quoique très proche. Sans elle, ma vie n'aurait pas pris la même route, je lui dois beaucoup. Dès lors, il y a parfois une petite compétition, des comparaisons qui se font sans qu'on le veuille et qui sont souvent à mon détriment, parce que mon éloignement géographique et quelques données d'ordre familial me désavantagent. J'en conçois un peu d'envie, ce dont elle joue avec légèreté.

J'ignorais tout de ce voyage. J'en avais entendu parler, mais je croyais à tout autre chose et m'étais bien gardée de prononcer le moindre mot. Elle me l'a balancé avec son brio coutumier, déclenchant ma jalousie bien évidemment. Je me suis efforcée de la lui dissimuler, aidée en cela par un certain complice qui vivait les mêmes affres depuis plus longtemps que moi si bien que, rendez-vous étant pris pour une future revanche commune, j'ai pu exécuter ses diverses demandes de bon coeur. Il suffit de peu de choses pour transcender les difficultés : un brin d'espoir, un mot gentil et la vie prend une toute autre allure...

Hélas, cette vie a aussi plus d'un (mauvais) tour dans son sac. Combien de temps a-t-il fallu pour que tout son bonheur s'effondre, quelques secondes ? Une minute ? Le feu couvait sous la cendre, mais depuis combien de temps, des jours ? Des heures ? Toujours est-il que d'un seul coup, les belles capitales se sont envolées, emportant avec elles la promesse des jours heureux.

Elle est arrivée chez moi défaite, éplorée, atteinte au profond de soi. Elle m'avait prévenue d'un coup de fil, au milieu de la nuit. Brusquement, une vague de questions que je ne voulais pas poser revenait vers moi, me renvoyant à mon propre devenir, aux obstacles sur mon chemin et à mon espérance, bien plus profonde que mes petits espoirs de midinette.

S'il est plaisant de visiter des mondes en pensée, il est d'autres voyages tout aussi immobiles mais qui font autrement avancer. L'expérience est intransmissible, c'est vrai, parce que nous sommes tous différents, mais ceux qui nous sont proches et pour lesquels nous exprimons de l'empathie font bouger nos lignes. Ils nous donnent leur chagrin en pâture et nous exhortent à nous comprendre mieux, à nous aimer davantage. Ils nous disent surtout : "n'ayez pas peur". La peur n'évite pas le danger et lui, je le côtoie souvent. C'est, disent les fins psychologues qui m'entourent, la raison pour laquelle j'aime ce qui est grand et fort : les "grandes" villes, les "grandes" personnes, les "grandes" maisons... Mon besoin d'être rassurée est-il possible à rassasier ?