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De la terre au ciel... et retour

Publié le 06 février 2012 par Stabbquadd

Nouvelle d'épouvante fantastique initialement rédigée dans le cadre du concours de nouvelles ILV 2008.

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Neuf heures et demi, en plein hiver. Fanny est sur le pas de la porte de son premier client. Il fait froid, alors elle ne tarde pas, et frappe de bon coeur. La porte s'ouvre, et un vieil homme apparaît sur le seuil. Elle se présente, avec l'habituel grand sourire qu'on lui a appris à arborer. Imperturbable, l'ancêtre ne décoche pas un mot. Pourtant, il semble l'inviter à entrer. Cette visite risque d'être bien longue. Une chance que ce soit la première de la journée, quand Fanny n'est pas encore à son maximum. Ce sera vite passé, avec un peu de courage.

Fanny pénètre dans l'ancienne demeure et observe autour d'elle. Etrangement, le hall d'entrée ne possède aucune porte. Seulement un escalier semblant mener vers le niveau supérieur. D'ailleurs, l'homme s'y dirige, toujours muet. Il s'arrête devant la première marche, et se retourne. Ses bras se figent dans une position destinée à indiquer à Fanny qu'elle doit passer devant, et dans quelle direction. Evidemment, elle aurait presque pu s'en douter. Un vieillard qui semble vivre seul, des escaliers, une jeune femme en jupe, tous les ingrédients sont réunis pour offrir à l'ascendance quelques bons vieux souvenirs de ses vices passés. Résignée, mais surtout motivée par le très bon entretien d'une maison historique qu'il lui faudra vendre par la suite, Fanny cède et commence à grimper, avec une technique toute particulière qui ne serait pas sans rappeler le crabe à un observateur attentif. Mais d'observateurs, il n'y en a pas. Et le vieillard qui la suit ne semble même pas préoccupé par la petite culotte de Fanny. Il gravit la tête basse chacune des marches qui lui sont sans doute assez pénibles pour ne pas avoir en plus à se contorsionner dans l'unique but de se rincer l'oeil.

En haut de l'escalier, il y a une porte. Fanny suppose qu'il lui faut l'ouvrir, et elle la traverse sans attendre. La pièce dans laquelle elle débarque est somptueuse. Tapisseries rouge et or, bureau massif, bibliothèque de prestige, cette salle sent bon le luxe et la sérénité. Fanny s'y avance pour faire la place devant la porte. Puis, elle se retourne, espérant enfin établir le dialogue après qu'elle eût vanté la beauté de la demeure. Mais derrière elle, il n'y a personne, et la porte est refermée. Intriguée, elle tente d'abord de la rouvrir. En vain.

Fanny s'énerve. Donnant de grands coups contre la cloison, elle s'adresse à un hypothétique interlocuteur derrière cette foutue porte. Calmement d'abord, quoi que d'un ton sentencieux, elle finit en hurlant. De l'autre côté de la pièce, il y a une fenêtre, qui donne sur la rue. Fanny s'y précipite pour observer l'éventuelle fuite de son geôlier. Mais la rue est déserte. Il y a sa voiture, d'abord, puis d'autres, et tout un tas de  maisons qui bordent la rue, mais pas âme qui vive. Comment sortir de cette pièce ? C'est la principale préoccupation de Fanny pour l'instant. Alors, lorsqu'elle remarque l'escalier qui monte vers un étage supérieur, elle n'hésite pas une seconde. Puisqu'on est ici, allons-y gaiement, après tout.

En haut de l'escalier, Fanny trouve une porte, qu'elle franchit allègrement. La pièce est ce qu'on pourrait appeler une salle de jeux. Il y a un billard au milieux, et une table, dans le fond, devant la fenêtre. Sans doute pour jouer au poker, étant donné l'ambiance. Et quand elle se retourne, Fanny s'aperçoit qu'une fois de plus, la porte s'est refermée, sans le moindre bruit. Elle est maintenant scellée, et il est impossible de la franchir dans l'autre sens pour le moment. Mais peu importe, il ne faut pas paniquer, ça ne servirait à rien. Et pour garder le contrôle, Fanny agit en grande professionnelle, et commence à prendre des notes, puis des mesures. Il y avait le grand hall, ses dalles de marbre et ses luminaires majestueux, puis le bureau, ses tapisseries et son parquet, et enfin une salle de repos dirons-nous, aux murs lambrissés et à la moquette épaisse. Fanny note tout. Puis, elle emprunte l'escalier vers un niveau supérieur... et débarque dans une chambre.

Néanmoins, Fanny ne compte pas se faire avoir cette fois-ci. Tenant la porte de ses mains, elle entre, puis se retourne et garde un oeil sur celle-ci. Puisqu'elle ne semble pas bouger, Fanny recule, afin d'avoir un panorama complet de la pièce. Parvenue à côté de la fenêtre, elle peut enfin explorer timidement du regard cette nouvelle salle. Une chambre comme en rêvent les petites filles, parée d'un lit à baldaquins. Mais son inventaire s'arrête brusquement lorsque Fanny se rend compte que la porte est en train de se refermer. Elle s'y précipite, mais arrive bien trop tard. Dépitée, Fanny sent la panique monter autour d'elle, sous la forme d'une claustrophobie avancée, comme si cette vieille bâtisse allait l'avaler, et la digérer. Pour se calmer, elle va s'asseoir sur le lit. Elle a bien vu la porte se refermer, mais ce qu'elle a vu, surtout, c'est qu'il n'y avait personne, derrière, pour le faire. La porte s'est refermée toute seule !

Fanny se laisse tomber en arrière. Sa tête s'enfouit dans les draps moelleux, au moment précis où intervient l'épiphanie. Ca y est, Fanny a compris, c'est sans doute une blague. Un genre d'émission de télévision probablement, où on vous fiche la frousse pour filmer vos réactions, avant de vous soulager en vous révélant la vérité, profitant de ce moment de relâchement pour vous faire signer le droit de diffusion de votre image. En plus, ça explique l'étrangeté des lieux, du vieil homme, ainsi que les portes, qui se referment automatiquement. Dans ce cas, il suffit d'aller au bout de cet enchaînement de salles pour y trouver l'équipe de tournage, et être enfin libérée. Rassérénée, Fanny bondit du lit et se dirige vers les escaliers. Désormais, elle ne prend plus le temps de noter ce qu'elle voit, et se contente d'aller à l'étage suivant. Ainsi, de salle à manger en chambre d'enfant, de cuisine en salle de bains, Fanny vole d'étage en étage, profitant de temps en temps de la vue qui s'offre à elle par la fenêtre. C'est qu'elle est drôlement haut maintenant, et le brouillard l'empêchera bientôt de voir la rue en contrebas.

Puis, Fanny débarque dans un bureau. LE bureau. Ou en tous cas sa réplique exacte. Quel soucis du détail ! Chercherait-on à la rendre folle maintenant ? Fanny avance jusqu'au bureau pour en allumer la lampe de banquier, verte et or, en tirant sur sa petite chaîne. Mais avant d'y être parvenue, elle se fige. Là, derrière le meuble, il y a quelque chose de plus. Quelque chose de trop. Un corps. Choquée par cette horrible vision, Fanny reste paralysée de longues minutes. Il semble que ce soit un jeune homme, baignant dans son sang, et qu'il se soit fait ça tout seul. Est-ce un précédent candidat, qui est réellement devenu fou ? Ou est-ce seulement un acteur maquillé ? A cette idée, Fanny se ressaisit. Elle s'approche du corps pour tenter d'en tater le pouls. Mais la chair est froide, et le sang est sec. Fanny tombe en arrière, affolée. Elle voudrait appeler les secours, et se surprend de ne pas y avoir pensé plus tôt. Sortant son téléphone portable, Fanny commence à tapoter sur le clavier. Malheureusement, aucun réseau ne passe par ici, elle est totalement isolée du monde extérieur. Alors, elle décide de poursuivre son ascension, jurant de s'en sortir pour revenir, accompagnée cette fois, offrir à ce corps une sépulture. Et elle gravit l'escalier.

La salle suivante est une salle de jeu, qui serait probablement une copie de la première s'il n'y avait pas, là encore, un homme étendu sur le sol, sous la table de billard. Froid, celui-ci semble avoir eu le crâne fracassé par la petite statue de marbre sanguinolente posée à ses côtés. Fanny voudrait aller prendre l'air par la fenêtre, mais elle refuse d'enjamber le corps, et se résigne à reporter son besoin à l'étage supérieur. Dans lequel se trouve une chambre, abritant deux amants décédés, depuis quelques temps déjà, eut égard à l'odeur pestilentielle qu'ils dégagent. Fanny en oublie la fenêtre, et s'apprête à grimper l'escalier. Mais à mi-chemin, elle fond en larmes. Et, lorsqu'elle jette un coup d'oeil vers le lit, toute la signification de cette scène lui est révélée, lui provoquant un haut le coeur. Ces deux là ont abandonné la lutte ensemble, dans une dernière étreinte. Après avoir rendu son petit-déjeuner et perdu une bonne tasse de larmes, Fanny se traîne jusqu'à l'étage supérieur.

Mais la salle à manger dans laquelle elle débarque est bien pire que tout ce qu'elle avait pu voir avant. Des corps mutilés jonchent le sol, pourrissant, et l'air est difficilement respirable. Fanny n'a plus rien à rendre, mais son corps tente malgré tout. Pendant de longues minutes, elle est là, avec l'impression tenace qu'elle va finir par se retourner les entrailles. Dans un dernier sursaut d'espoir, Fanny se traîne jusqu'à l'étage supérieur, qui recèle une cuisine, pleine d'entrailles et d'asticots, de chairs cuites par le temps dans leur propre jus. Fanny observe la scène d'un regard vitreux, absent, comme si son âme s'était désincarnée, et qu'elle n'était plus qu'une carcasse de plus, mouvante, parmi tout ce déluge d'horreurs avariées. Même lorsqu'elle reconnaît un oeil par ici, ou une langue par là, Fanny reste insensible. Et, par conditionnement, grimpe à l'étage supérieur.

Fanny arrive finalement dans une salle de bain. Dans la baignoire, il y a une femme, les yeux exorbités, la face tournée vers elle, inexpressive. Sous le lavabo, une autre  femme, allongée sur le sol, le ventre ouvert, le visage figé dans une expression d'insoutenable douleur. Dans le bidet, un bébé, la tête plongée dans une eau croupie. Une fois de plus, l'odeur est saisissante, mais à celle-ci s'ajoute l'impression d'être observé par une paire d'yeux au milieu d'un visage vide dont la bouche est grande ouverte. Fanny, presque comateuse, s'avance, lentement. Lorsqu'un faible son, guttural, lui parvient de la baignoire, Fanny a pour seule réaction de se parer d'un rictus de folie qui pourrait la faire passer pour souriante, d'un côté, tandis que l'autre moitié de son visage semble pendue à son crâne. Mais Fanny ne s'arrête pas. Elle avance toujours, en direction de la fenêtre, enjambant les corps, n'évitant même plus les contacts les plus glaçants. Le regard rivé vers l'extérieur, la libération, elle ne remarque même pas que la femme dans la baignoire l'a suivie du regard. C'est d'elle que proviennent les sons étouffés. Elle n'est peut-être pas encore morte, mais Fanny est loin de s'en soucier. Il lui faut de l'air, et rien ne pourra plus l'empêcher d'en avoir.

Etrangement, la fenêtre s'ouvre sans le moindre problème, et un courant d'air glacé pénètre dans la pièce. Fanny se met à rire. Elle regarde par la fenêtre, mais il y a trop de brouillard pour voir quoi que ce soit. Alors, elle tente de voir la rue, tout en bas, quitte à se pencher un peu. Sa voiture lui serait une vision chaleureuse, rassurante. Mais là encore, impossible de voir autre chose que du coton, à perte de vue. Fanny reste pourtant penchée là de longues minutes. L'air froid est toujours meilleur à respirer que l'air vicié. Lorsqu'une main s'empare de sa jambe, Fanny sombre dans l'hystérie. De là où elle est, elle ne voit rien, et pour y voir quelque chose, il lui faudrait s'appuyer sur sa jambe. Au lieu de ça, Fanny tente de se débarrasser de ce contact effrayant en agitant la jambe, et bascule par la fenêtre. Soulagée, Fanny ne se rend compte que très tard que sa chute la conduit vers une mort certaine.

Et effectivement, Fanny a à peine le temps d'apercevoir le toit de sa voiture qu'elle s'y encastre déjà, son corps arquant la carrosserie en une bassine que son sang viendra bientôt remplir lentement. Elle a enfin retrouvé son véhicule, comme elle l'avait si ardemment souhaité, même s'il serait difficile de dire qui de lui ou d'elle est dans le pire état. Toutefois, dans un dernier pied de nez au destin, Fanny se pare d'un ultime sourire, avant de lâcher son dernier soupir. Elle est de retour chez elle, en quelques sortes, et plus rien n'a d'importance.


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