Ph. Jacques Jouberjean
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IL A NEIGÉ SUR DE L’AURORE
Il a neigé sur de l’aurore. Éclat poudreux de l’ossuaire d’en haut qui s’écroule. Et tourbillonne en chute lente au-devant des bouillons rouges du jour nouveau. Là-dessus j’ai porté ma lourde tête au long des murs glacés de l’être. Il y a le ravin de l’âme devers et pas une brèche où se jeter. Rien à contempler ni rejoindre pour moi dans l’esprit. Mais écouter encore. Entendre toujours ceci. Le nœud d’oiseaux misérables d’abord qui se tend et qui glisse (je l’entends) par-dessus les flots roides là-dedans du silence. Un temps d’angoisse floue (puis écoute) ô la fronde profonde a tendu sa lanière d’ortie droite volute de cuir obscur la rocaille crépite. Autre instant de folie sur la face étroite de la vie. Alors claque la charge et dénoué le ciel s’allume où ce n’est plus que pierraille qui retombe sans aile et plus que n’y monta ! Visage. Énoncement d’amour en la mémoire aux longues fâcheries muettes. Parfois dans le sillage d’un sanglot désert. Belle embellie d’hier au matin des îles de la joie. Levé dans un désir de larmes et d’oiseaux sur mon épaule. Visage. Un jour il se rompit un lien d’étoiles dans ma gorge et je chantai. Mais seul dès lors et désolé car sitôt gagnas-tu l’altitude aplanie de lumière dorée. Voici l’oubli me dérobant ta lévitation blanche. Et toi sans doute tu regardes au fond du gouffre de mon âme et n’y découvres-tu que gravats de l’aigreur où grouillent les sangsues de la haine de toi ? Non. Dans la vérité moite et souveraine de la tombe aux voûtes de remords encore il faut que ce soit ton nom d’aube qui par ma bouche sourdement résonne. On a privé de la vue claire notre rapport d’amour dans le soleil. On a frappé de cécité notre approche d’ombres nues dans la nuit. Qui a privé du jour et frappé de ténèbres les enfants revêtus d’innocence devant le rêve de l’envol ensemble aux rayons de la vie ? Mais celui-là je le retrouve chaque soir au plafond de ma chambre illuminée des lueurs pourpres et folles du vin dans la montagne. Après un jour entier d’errance dans l’automne et par des neiges compliquées de rêveries immaculées je me couche perclus d’ivresse rouge. Et je dors mollement balancé dans la toile d’argent de sa bave abondante. Et je descends loin de toi vers l’abysse du feu dans cette barque blanche.
Jean-Philippe Salabreuil, « Vers un autre dieu clair » in L’Inespéré, poèmes, Éditions Gallimard, Collection Le Chemin dirigée par Georges Lambrichs*, 1969, pp. 41-42.
NOTE d’AP : la collection Le Chemin (collection de littérature française de création et d’essais critiques au sein des éditions Gallimard) a été dirigée de 1959 à 1992 par Georges Lambrichs (1917-1992).
JEAN-PHILIPPE SALABREUIL
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■ Voir aussi ▼
→ (sur le blog de Jean-Marc La Frenière) une notice bio-bibliographique sur Jean-Philippe Salabreuil (rédigée par Francis Wybrands) et plusieurs poèmes de Jean-Philippe Salabreuil
→ (sur le site du Scriptorium) un autre poème de Jean-Philippe Salabreuil (extrait de La Liberté des feuilles)
→ (sur La Littérature de partout, le blog de Tristan Hordé) un autre poème de Jean-Philippe Salabreuil (extrait de La Liberté des feuilles)
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