Si, depuis l'analyse lucide de Paul Valéry sur les conséquences de la 1ère guerre mondiale, nous savons désormais que les civilisations sont mortelles, nous savons surtout depuis la seconde guerre mondiale, l'archipel du goulag ou encore le 11 septembre que le mot même de civilisation recèle une arrogance terrible que les stratèges du chaos se délectent d'employer pour mieux entretenir la vision d'un monde fondé sur le "choc" de ces dernières (cf Huntington), un monde du "hard power" ; un monde où le glaive prime sur le droit.
Ce mot, employé récemment à dessein par un Ministre de l'Intérieur et des Cultes censé garantir la concorde et la tranquilité publique, recèle également une aspiration manifeste à la suprematie, au classement, à la primauté, donc à l'exclusion, la discorde et la ségrégation.
Car tenir pour acquis qu'il y a des gens civilisés, c'est aussi tenir pour acquis qu'il existe de fait des barbares. Des étrangers aux bonnes moeurs policées de la "civitas" ; indignes de la vie dans la cité.
Sans aller plus loin dans l'indignation, il suffit de relire quelques classiques pour se rendre compte de l'ineptie de ces distinctions et je remercie Jean-Luc Mélenchon, qui bien qu'il ne soit pas mon candidat, d'avoir exhumé ce soir un beau texte de Victor Hugo dans les Misérables :
" En 93, selon que l'idée qui flottait était bonne ou mauvaise, selon que c'était le jour du fanatisme ou de l'enthousiasme, il partait du faubourg Saint-Antoine tantôt des légions sauvages, tantôt des bandes héroïques.
Sauvages. Expliquons-nous sur ce mot. Ces hommes hérissés qui, dans les jours génésiaques du chaos révolutionnaire, déguenillés, hurlants, farouches, le casse-tête levé, la pique haute, se ruaient sur le vieux Paris bouleversé, que voulaient-ils? Ils voulaient la fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le travail pour l'homme, l'instruction pour l'enfant, la douceur sociale pour la femme, la liberté, l'égalité, la fraternité, le pain pour tous, l'idée pour tous, l'édénisation du monde, le Progrès; et cette chose sainte, bonne et douce, le progrès, poussés à bout, hors d'eux-mêmes, ils la réclamaient terribles, demi-nus, la massue au poing, le rugissement à la bouche. C'étaient les sauvages, oui; mais les sauvages de la civilisation.
Ils proclamaient avec furie le droit; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l'épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.
En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien, il y a d'autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudés à une table de velours au coin d'une cheminée de marbre, insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé, du moyen-âge, du droit divin, du fanatisme, de l'ignorance, de l'esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l'échafaud.
Quant à nous, si nous étions forcés à l'option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares."
La civilisation n'est pas forcément là où on la proclame. A tout le moins elle n'est pas dans un gouvernement qui exclut et divise. et A méditer Mr Guéant !