Borgen

Publié le 09 février 2012 par Fkuss

Aprés "Les hommes de l'ombre", dont le dernier opus fit culminer le tryptique sexe, drogue et manipulation, offrant une image plus que dégradante de la vie publique héxagonale, et voulant attester que la fin justifie les moyens dans une course à la présidence de la République ; le visionnage ce soir de la série danoise "Borgen - Une femme au pouvoir" diffusée sur Arte, laisse, à défaut d'être indigné, à tout le moins songeur..

Un premier ministre "normal"...

Bigoudis, petit pavillon, des déplacements en vélo, une vraie vie familiale et conjugale, sans parler d'une frêle innocence lorsqu'il faut négocier avec les hommes du sérail.. Voilà comment les danois doivent idéalement se figurer l'incarnation de leur démocratie puisque l'héroïne en revêt les traits.  

En visionnant la série "Borgen", on peut véritablement s'interroger, en miroir, sur ce qui amène les français à glorifier, à contrario, la pompe monarchique, l'intrigue curiale, la grandeur attachée à la fonction élective, le goût de l'apparat et des attributs du pouvoir.  

Sans doute une certaine idée de la France, que nous estimons toujours être le phare d'une civilisation (sans mauvais jeux de mots ;-)).

Sans doute une certaine idée de l'Etat, qui depuis Louis XIV est personnifié dans son chef, au point que tous ses successeurs, sauf quelques uns, en ont magnifié les instruments. François Mitterrand ne faisait-il pas jouer la fanfare de la Garde Républicaine même lorsqu'il atterrissait seul en plein nuit sur le tarmac de Villacoublay, alors qu'il n'y avait personne autour ?  

Deux séries, deux régimes..

Mais au delà d'une différence de culture, les deux séries caricaturent à l'extrême les différences de régimes politiques car, in fine, elles mettent en images l'ascension d'une femme du centre avec des méthodes trés différentes. 

Avec "Les hommes de l'ombre", ce qu'il y a de plus abject dans la présidentialisation de la Vème République est poussé à son paroxysme, notamment dans les méthodes de conquête du pouvoir. On voit bien que la bipolarisation si naturelle à un pays inapte au consensus mais qui progresse par révolutions et par ruptures ne peut qu'induire, inexorablement, à ce que le centre n'existe que comme l'incarnation, malgré lui peut-être, de la droite. De même la conquête ne peut y être qu'exacerbée tant l'essence quasi monarchique du sacre du suffrage universel confère à son détenteur un sacerdoce hors du commun.

Avec "Borgen", c'est à l'inverse ce qu'il y a de plus idéaliste dans le parlementarisme qui donne à rêver. Un parti centriste minoritaire appelé à former un gouvernement, des négociations tantôt avec des formations de gauche, tantôt avec des formations de droite qui attestent bien de différences mineures dans une société moins clivée et plus prompte au compromis. Le dénouement qui débouche sur une "dream team" gouvernementale, une majorité plurielle en quelque sorte, qui peut être amenée à ne pas durer mais qu'importe, car les cartes peuvent être rebattues plus vite ; chacun pouvant, de minoritaire devenir majoritaire et inversément grâce au jeu du multipartisme, et ces nouvelles chaises musicales d'apaiser les querelles pour la conquête du pouvoir suprême..

Le rêve de Bayrou..

Puisque le temps est à la fiction, de ces deux séries on pourrait se plaire à imaginer le rêve d'un François Bayrou, qui décidément n'est pas né ou au bon endroit, ou à la bonne époque. Son rêve ne pouvait s'incarner qu'au Danemark ou dans la France de la IIIème, voire de la IVème République, et il y a fort à penser qu'il eut pu être "Président", mais du "Conseil des Ministres" comme l'on disait jadis ; à une époque où les majorités étaient des jeux de meccanos.

Car en se transposant à nouveau dans la course à la présidentielle et en s'amusant à faire de la politique fiction, on aurait du mal à se figurer, à l'instar de la scène cathodique de Borgen, un débat ne serait-ce qu'à trois où François Hollande jettât à la figure de Nicolas Sarkozy les affaires du moment (au choix : Karachi, Woerth-Bettencourt, etc..) et "au mitan" de ce pugilat entre les deux favoris ; un François Bayrou qui puisse tirer les marrons du feu avec le système majoritaire uninominal à deux tours..

Excés du présidentialisme versus vices du parlementarisme, les deux séries reflètent bien le dilemme des démocraties modernes. Car au delà de la nature des régimes, demeure une question irrésolue qu'aucun moyen de conquête du pouvoir imaginé par les "spins doctors" ne peut surmonter : celle de la confiance ébranlée, pour ne pas dire la méfiance, des citoyens dans les institutions qui les représentent.

A quand une série qui, avant même de montrer le pouvoir sous ses jours les plus sombres ou les plus flatteurs, fait oeuvre de pédagogie pour illustrer la complexité, pour démontrer que l'action n'est pas l'image, et pour convaincre, enfin, de la véracité de ce magnifique adage de Victor Hugo : "qui vote, règne" !