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La mort comme un lapin.epub

Publié le 13 février 2012 par Stabbquadd

Nouvelle initialement rédigée pour un recueil sur la mort qui - il me semble - n'a jamais vu le jour.

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De la dégradation de tout corps plongé dans le suicide...

Tout corps plongé dans le suicide, entièrement imbibé par celui-ci ou se laissant traverser de part et d'autre librement, subit une force existentielle dirigée vers la tombe et opposée farouchement à tout maintien en vie déplacé. Enfin, en général. Cette force est appelée la « poussée d'Archi-merde », parce que quand même, ça fait chier.


 Jurévan est à table. Seul. Comme toujours. La compagnie, il n'a jamais vraiment connu. Il se dit maudit, on le croit marginal, la différence est subtile, le sentiment infernal. Et le regard des autres n'a fait que devenir plus gênant encore après l'accident. De son fauteuil roulant, Jurévan observe la vie comme un patient chez le dentiste. Ca fait mal, mais impossible de l'exprimer. Alors, on attend que ça passe.

Du moins, c'est ce que font la plupart des gens. Mais il y a bien longtemps que Jurévan a décidé de prendre les choses en main. Et ce soir, il s'est préparé un taboulé de poulet assaisonné aux barbituriques. Qu'il a intégralement englouti. Il ne lui reste dès lors plus qu'à attendre de savoir comment il s'en sortira cette fois. Car s'il y a un domaine dans lequel son exclusion est remarquable, c'est bien celui de la mort. Elle le fuit, cette salope, et depuis des années ! Jurévan s'en était rendu compte lors de sa troisième tentative de suicide qui ne pouvait pas rater. Et qui rata, bien évidemment. C'était un saut dans le vide magistral, d'un immeuble immensément haut qui ne lui laisserait aucune chance à l'arrivée. Mais le vent s'était levé, des courants chauds s'étaient précipités à sa rencontre et l'avaient déposé sur le toit d'un bâtiment voisin, de taille moindre.

Ah il s'était fait sacrément mal, c'est certain, il avait même défoncé une grille d'aération. Mais il s'en était sorti, à son grand regret. Après, il avait arrêté de compter, tâchant de surprendre la mort là où elle ne l'attendrait pas.

Mais quitte à se remémorer tout ça, autant commencer par le début. Dès sa naissance, Jurévan avait mis le mauvais pied dans le merdier que serait sa vie de bout en bout. Né sous X, il n'avait connu ni père ni mère. C'était sans doute un signe. De toute son enfance, il n'avait pas eu d'amis. Ni même d'amies. Mis de côté à l'école pour d'obscures raisons, il avait appris à se débrouiller tout seul, et à s'en contenter. Au lycée, en sciences naturelles, il avait trouvé le moyen d'obtenir une grenouille encore vivante à disséquer. Celle-ci s'était enfuie, et l'événement l'avait profondément marqué. C'avait été pour lui une sorte de détonateur, qui allait provoquer son courroux envers sa propre existence. Celle-là même qu'il était le seul à ne pas pouvoir fuir. Et ça ne s'était pas arrangé avec son diabète, révélé un peu plus tard, qui le contraignait une fois de plus à vivre différemment, et à être encore plus seul. Une maladie qu'il aurait bien aimé pouvoir laisser dégénérer, et qui avait fini par lui emporter un oeil, avant qu'il ne se résolve à suivre son traitement convenablement.

C'est alors qu'il avait décidé de trouver un moyen de mettre fin à ses jours. Diabétique, à moitié aveugle, sans famille, sans amis, à quoi bon lutter, de toutes façons ? Sa première idée était toute simple, et se trouve même être la méthode préférée des suicidaires : la pendaison. Une corde, un noeud coulant, une poutre, et c'est parti.

Facile. Son premier essai avait été un véritable fiasco. Gêné par sa mauvaise vue, Jurévan avait fait une douloureuse erreur lors de la préparation de son noeud. Et, lorsqu'il avait voulu s'en servir, celui-ci avait lâché, le laissant choir sur le sol, ralenti par la corde qui lui abrasait le cou en se défilant rapidement sous son poids. Honteux de ce qu'il venait de tenter, et probablement autant du résultat obtenu, Jurévan avait plaidé la rencontre avec une branche inopinée pour se faire soigner. Longtemps, il n'osa plus attenter à ses jours.

Mais quelques années plus tard, alors qu'il avait obtenu son diplôme et passé de longs mois à chercher en vain du travail, l'idée lui était revenue. C'était lors d'un rendez-vous avec une conseillère méfiante, persuadée que Jurévan était fier de détenir le record du nombre d'entretiens d'embauche consécutifs infructueux, quand en réalité il en souffrait. Parce qu'il aurait voulu, pour une fois, pouvoir intégrer une équipe. Même une mauvaise équipe, même si on devait le détester. Au moins, il aurait pu avoir un minimum de contact social. Mais non, rien, personne ne semblait vouloir de lui. Alors, il s'était mis à repenser à la mort. Comme elle serait douce ! S'il y avait un paradis, Jurévan y avait probablement déjà la suite présidentielle de réservée. Quel dommage que le suicide risquait de l'en priver. Mais avec un peu de chance, et la clémence du patron, il aurait sans doute pu négocier une chambre pas trop dégueulasse, et un peu de compagnie, surtout, c'était le plus important. Le paradis n'en serait pas un pour lui, s'il devait y être seul.

Alors, Jurévan avait envisagé de faire un noeud qui se tienne, cette fois-ci. Et il y était parvenu. Il avait également réussi à faire passer la corde par dessus une poutre, et à en accrocher fermement l'autre extrémité. Le tabouret avait résisté à son poids le temps de passer la corde autour de son cou. La poutre, par contre, rongée par les termites, n'avait pas tenu le choc, et s'était littéralement scindée en deux, avant de s'effondrer sur Jurévan, à moitié en miettes. L'événement lui avait coûté une cervicale déplacée, et une paralysie partielle temporaire, accompagnée d'une grosse frayeur. Avait suivi le saut du haut d'un gratte-ciel voisin de l'hopital, qui lui avait démis une épaule et rompu le tendon d'Achille. Un atterissage forcé pénible pour un semi-suicidé convalescent. D'aucuns dirent que la chance était de son côté. S'ils savaient...

Et de nombreuses autres tentatives avaient suivi. Toutes ratées jusqu'à aujourd'hui. Quoi que pour l'heure, Jurévan ne soit pas encore tout à fait plombé d'affaire. Il commence seulement à somnoler, continuant de faire dans ses pensées les souvenirs de sa vie chaotique. Et dans le désordre, lui reviennent l'usage d'une arme à feu qui lui brûla la moitié du visage avant de s'enrayer, l'absorption de poisons qu'il vomit avant d'être sauvé par un voisin venu lui demander un peu de sucre pour son café, les veines tranchées dans sa baignoire le jour où il se fait cambrioler par deux âmes charitables... Mais il avait aussi sauté d'un pont, cherchant le meilleur angle pour s'exploser dans l'eau en y entrant. Juste avant d'y entrer, sa jambe avait heurté un renfort, le faisant pivoter et pénétrer comme une fleur dans le fleuve en contrebas, la jambe brisée et le pied déchiré, mais le reste du corps intact.

Et puis il y avait eu l'accident. Ce triste jour où il avait été condamné à rester cloué dans une stupide chaise à roulettes. La mort elle-même avait dû décider qu'il y en avait marre de toutes ces fantaisies, et que dorénavant il devrait rester chez lui, en sécurité, et seul. Ce jour là, il avait traversé la route sans regarder. Comme bien souvent en réalité. Sauf que ce jour là, une voiture l'avait heurté. Plutôt violemment. Il avait volé quelques instants, avant de s'écraser contre un autre véhicule, désarticulé. Et malgré ça, il n'avait pas réussi à mourir. Tout juste avait-il écopé d'un lot de consolation, une superbe paraplégie totale pour égayer vos soirées pizzas devant la télé.

Pour autant, cette affection supplémentaire n'avait pas ralenti sa volonté d'en finir, et, du haut de son mètre douze à roulettes, Jurévan était parvenu à se jeter dans un cours d'eau en amont d'une chute. D'eau, la chute, et de Jurévan l'espace de quelques instants. Mais "par chance", le fauteuil l'avait sauvé, en se calant à l'endroit le plus dangereux, poussant le corps de Jurévan à partir flotter plus loin, là où justement, et comme par hasard, des promeneurs le recueillirent pour l'emmener à l'hopital. L'expérience lui permit de découvrir une nouvelle équipe médicale, la chute d'eau n'étant pas située à proximité de celle de ses précédentes visites.

Alors oui, on pourrait croire que c'est simple, de perdre la vie, et qu'il suffit d'essayer jusqu'à ce que ça marche, encore et encore. Pourtant, c'est bien ce qu'avait fait Jurévan, changeant de technique à chaque fois pour être certain d'en trouver une qu'il saurait mener à son terme.

Et aujourd'hui, c'était au tour des barbituriques. Jurévan s'était fait une liste. De son lit d'hopital, il avait fait des recherches, et noté tout ce qui pourrait lui servir. De nombreuses lignes furent barrées, lui ayant occasionné trop de douleur pour un résultat bien maigre. Alors, il avait pensé à se lancer dans le vide une nouvelle fois. Une coïncidence telle que lors de sa première tentative aurait bien du mal à se reproduire tous les quatre matins. Mais Jurévan était en fauteuil désormais, et bien qu'il chercha, il ne put trouver d'endroit idéal pour un saut dans le vide. Les toits des immeubles disposent rarement d'un accès handicapé. Quant aux falaises, la plupart n'étaient pas réellement abruptes, et Jurévan avait déjà assez souffert pour ne pas s'amuser à rebondir encore et encore avant de s'écraser, bel et bien vivant, en pièces détachées.

Lors d'un de ses séjours à l'hopital, il avait réussi à se procurer des barbituriques en bonne quantité, et c'est avec eux qu'il s'endormait maintenant, espérant ne plus rouvrir l'oeil jamais.

 Mais il le rouvrit pourtant, quelques jours plus tard.
Son coma terminé par un heureux hasard,
c'est l'esprit embrumé qu'il découvrit le cauchemar.
Pendant sa visite d'un monde meilleur,
le voisin en cuisine avait fait une erreur.
Un incendie se propagea alors,
jusqu'à son domicile et sans aucun effort.
Les secours arrivèrent et firent leur travail,
sauvant Jurévan des flammes pris en tenaille,
et lui permettant de garder la vie sauve,
même s'il ne doit plus être qu'une guimauve.


Mais c'est une guimauve grillée,
qui même sans être une friandise,
ne pouvant pas se suicider,
attendra qu'elle agonise.


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