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Rafael Gonzales panatelas extra

Publié le 13 février 2012 par Stella

Rafael Gonzales panatelas extra
J'aime beaucoup Genève. C'est pourtant une ville très conventionnelle, on n'y croise que rarement ces personnages contrastés qui font la saveur de Brighton, que j'ai beaucoup fréquentée, ou de Londres où je vais encore de temps à autre. D'où le plaisir non dissimulé que j'ai eu à croiser, à l'heure du déjeuner à la cafétéria de l'université, un individu comme je les aime. Blond tendance jaune, mais le cheveu ultra-frisé de façon à composer une coupe afro du plus bel effet 1975. Jean ordinaire et pull façon polaire mais, et c'était là le détail qui tue, pieds nus dans des sandales façon birkenstock 100 % baba cool. Un régal. Alors qu'il faisait environ -10° vendredi à Genève, marcher en tongs dans la rue relève de la pose idéologique, voire du militantisme échevelé.
C'est donc avec un sentiment de conformisme absolu que, bien emmitouflée dans mon manteau, mon écharpe, mes sous-gants et mes gants, avec mon chapeau et mes bottes fourrées importées directement de Chicago par mes soins personnels, que je me suis mise en route vers l'hôtel Kempisky et son inénarrable Gérard, marchand de cigares.
Le froid était polaire. Le vent venu des sommets enneigés aplatissait le lac, dont les eaux glaciales aux couleurs de suicide bouillonnaient en s'engageant dans le lit du Rhône. Après cette épreuve, il était délicieux de pénétrer dans le grand hall de l'hôtel, au fond duquel une série de becs de gaz faisaient fonction de cheminée moderne, égayant d'une série de torchères un décor spartiate et ultra-contemporain.
En pénétrant chez M. Gérard, j'eus brusquement l'impression qu'il avait passé les dix derniers mois à attendre ma visite, à sa manière de me saluer et de s'enquérir de mes désirs. Comme dans toutes les boutiques de luxe, il avait cette affabilité teintée d'une exquise courtoisie qui le rendait à la fois familier et distant. "Une boîte de Rafael Gonzales... panatelas extra, je crois", lui dis-je en entreprenant de vérifier dans mon Filofax l'exactitude de ma commande. "Oui, oui-oui me répondit-il en me regardant fixement. C'est en tous cas ce que vous avez pris la fois passée..." Et de vérifier, à son tour, sur son ordinateur. "Quelle bonne mémoire vous avez", le complimentai-je immédiatement, positivement charmée. J'avais pourtant un manteau neuf ! Comment a-t-il pu me reconnaître... me demandais-je, fascinée. Magie du boutiquier de luxe, qui fonde sa réputation autant sur ses produits que sur la qualité de sa relation avec le client.
Il flottait, en dépit de l'armoire hermétique à hygrométrie mesurée dans laquelle étaient enfermés tous les cigares, un délicieux parfum de havane. Juste assez fort pour me ressouvenir de ce temps lointain où je partageais ma vie avec un fumeur de Monte Cristo n°3. Et de ce temps encore plus éloigné où, petite, j'habitais avec ma grand-mère dans son bureau de tabac, à Saint-Martin de Ré. Elle vendait beaucoup de havanes, aux gens de passage comme aux yachtmen du coin. Elle m'avait appris à les humer, à les toucher pour en vérifier la fraîcheur. Lorsque M. Gérard, qui ne pouvait me donner de Rafael Gonzales pour cause de fermeture de l'atelier, commença à m'expliquer que la marque avait arrêté ses productions roulées à la main pour ne conserver que les "cigares machine", je fus déçue. Je lui demandais s'il était possible d'avoir quelques exemplaires d'autre chose, pour faire tester à mon commanditaire... Hélas non. La boutique de luxe a ses inconvénients : on n'est pas dans un débit de tabac. Devant mon désarroi, M. Gérard me conseilla d'opter pour des Quintero y Hno Londres extra, même robe, même arôme léger et jardin relativement similaire. Il m'ouvrit un coffret et l'odeur délicate me monta aux narines. J'hésitai... je pouvais toujours revenir en juin prochain... Les cigares repartirent en direction de l'armoire hermétique. Je me ravisai alors, consciente que pour mon vieil ami Faouzi il est toujours possible qu'il n'y ait plus jamais de mois de juin, et lui achetai une jolie boîte de Quintero y Hno. Elle me fut enveloppée, comme il se doit, dans un film plastique et mise sous vide.
De retour sur le quai venteux, loin du parfum des havanes, je me languissais déjà de revenir acheter des cigares chez M. Gérard...


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