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En réalité, il y a trois chambres. La première, celle de...

Publié le 13 février 2012 par Fabrice @poirpom
En réalité, il y a trois chambres.

La première, celle de...

En réalité, il y a trois chambres.

La première, celle de Jou-Jou, dont la principale attraction touristique est le support à télé sans télé fixé au mur. À moitié arraché, en fait. Un écartèlement pas fini. Pour le reste, murs blancs, traces d’humidité, lit une place et un bureau avec sa chaise. Un pouf aussi, parfait pour s’affaler.

La deuxième, plus petite, fut, à une époque, une chambre d’enfant. Murs bleu sur la partie supérieure, saumon sur l’inférieure. Une frise de Winnie l’Ourson, aujourd’hui arrachée, fait, faisait la jonction. Par endroits, Winnie persiste. Il sourit, comme un con, un pot de miel sous le bras. À une époque, sur ces mêmes murs, virevoltaient des papillons. Il reste la trace de leur passage: la peinture arrachée.

Sur la porte coulissante du placard encastré, il y avait des puzzles en mousse collés. Représentant des animaux de la jungle. Un lion. Une girafe. Un singe. Un panda. Tous disparus aujourd’hui. Ne reste que les traces de colle et deux stickers qui étaient là bien avant la jungle.

Le plafond, c’est Beyrouth. Un dégât des eaux deux ans plus tôt a eu raison de la peinture. Des cloques, des cratères, des croûtes. Service des Grands Brûlés, chaque soir, une fois allongé, avant d’éteindre la lumière.

Mais de jour, la fenêtre de cette chambre d’enfant délabrée offre une vue délicieuse sur de la verdure exotique XXL, quelques villas de la rue adjacente et, légèrement sur la gauche, sur El Avila, la montagne au nord de Caracas. Alors déplacer les trois meubles et deux chaises pour caler le bureau face à la fenêtre est apparu comme une évidence.

Winnie l’Ourson est un homme formidable.

La troisième chambre est celle de Gaby, le propriétaire des lieux. Le soir, il s’y effondre avec sa femme, Béa. La porte reste toujours entrouverte. La télé scintille et crache ses âneries toute la nuit. Au réveil, ils l’éteignent. Gaby a soixante piges tout rond. Sec comme un bout de bois. Tondu. Fondu de cyclisme, il peut passer la journée, après avoir fait ses quarante bornes quotidiennes, avec son cycliste qui lui écarte les roubignoles, son maillot juste-au-corps zippé jusqu’au cou et son casque sur le crâne. Discuter, faire une course, revenir, reprendre la conversation, repartir, revenir encore, lâcher une anecdote, boire quatre bières sans rien dans le bide, aller récupérer un plumard ailleurs dans la ville pour le poser dans la piaule à Winnie, reprendre une bière, la siffler et disparaître dans la salle de bains. Le tout avec une burne à l’Est et l’autre à l’Ouest.

La douche est rapide. Le ballon d’eau chaude de la maison est de la taille d’une cocotte minute.

Qu’importe. L’eau froide, c’est bon pour la peau.

Gaby, c’est le mec aux mille métiers. À New York, pendant un temps, courtier en assurances le jour, barmaid la nuit. Là-bas, il a même vu BB King un soir en concert. Ici ou ailleurs, il a: fait tourner des artistes, été chef cuisinier, failli présenter une émission de télé culinaire (il est spécialisé en macrobiotique), acheté des trucs, vendu d’autres trucs. Il est propriétaire de locaux et d’appartements, il a un hôtel, sur une plage, qu’il doit vendre.

Le même Gaby appelle quelques jours avant l’arrivée officielle dans sa maison pour taxer une partie du loyer qui sera dû. Et ce malgré l’avance déjà reçue. Pour réparer la courroie de la bagnole de sa femme qui a lâché.

Avec une bouteille de jaja argentin dans les gencives, Gaby pousse la chansonnette après le dîner. Longtemps. Et fort. C’est un fondu de blues mais il chante toute autre chose.

U2, UB40. Longtemps. Et fort. En tambourinant sur la table avec ses mains osseuses.

Avant d’aller s’effondrer sur son lit, avec Béa. Devant la télé qui scintille.

Bienvenue à la maison. Bienvenue chez Gaby.


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