Prison de sens

Publié le 14 février 2012 par Paumadou

(ce texte est extrait du recueil 4 histoires de couples presque heureux – à paraître – un jour bientôt, peut-être)

Je ne supporte plus qu’il me touche. Nous dormions côte à côte, comme d’habitude, et il s’est collé contre moi. C’est là que l’évidence m’a sauté à l’esprit : je ne supporte plus sa présence, son corps. Je ne le supporte plus lui. Physiquement.

Je lui tournais le dos, je lui tourne toujours le dos. Dormir face à lui, c’est comme dormir face à un mur, c’est oppressant. Alors je lui tourne le dos. Remarquez, il fait la même chose. Nous dormons chacun de notre côté. Côte à côte, mais séparés. Je lui tournais le dos, je commençais à me réveiller. Nous dormons sans volet, pour nous lever avec le soleil. C’est faux, le soleil se lève trop tôt pour nous. Mais c’est sans importance, nous dormons sans volet.

Il s’est retourné et s’est collé contre moi. Son corps était trop chaud. Sa masse trop importante, trop lourde, trop morte. Il dormait, c’était inconscient. Son inconscient me cherche, mon conscient le fuit. Ses mains grossières caressaient les hanches, mon ventre, me pressait un peu plus contre lui. Je ne bougeais pas, pas un bruit, pas un mouvement qui aurait pu lui faire penser que moi, je le désirais.

Tout son corps à lui me désirait, ou au moins désirait le mien. Peut-on vraiment aimer une femme quand on est endormi ? On fantasme, on rêve, mais le corps que l’on sert est indifférent. Il aurait tout aussi bien pu serrer n’importe qui. Ce n’était pas moi qu’il désirait, mais un corps chaud.

Son souffle froid et régulier heurtait ma nuque. J’avais trop chaud, j’étouffais sous sa masse, et sa respiration sifflante, son haleine froide ne me refroidissait en rien. C’était juste un truc irritant, un de plus. J’ai voulu sortir, me lever. Il l’a pris pour je ne sais quoi, du désir, une réaction positive. Il m’a serrée un peu plus.

Je n’ai plus bougé, attendant qu’il se réveille. Imaginant qu’il déposerait un baiser sur mon épaule, mes cheveux ou ma nuque. Comme il le fait toujours dans ces cas-là. Ces moments où il est d’humeur câline, ce qui signifie excité comme n’importe quel homme au réveil. Qu’une fois, réveillé, il resserrerait son étreinte, deviendrait réellement plus pressant. Et son odeur…

Son odeur envahissait mon espace vital, pas une bouffée sans qu’elle ne vienne se plaquer sur ma langue, dans mes narines, dans ma gorge. Son parfum m’écœurait, pas l’espèce de déodorant à la fraîcheur marine qu’il se colle sur le corps au prétexte qu’il ne peut pas vivre sans, non, le vrai parfum de sa peau. Cette fragrance qui m’insupporte, cette odeur de mâle omniprésente. La sienne. J’avais l’impression d’étouffer sous sa masse et son odeur n’était que la punition supplémentaire pour avoir tenté de respirer encore.

J’aurais voulu ouvrir la fenêtre, j’aurais voulu sauter. Pas pour me suicider, mais pour fuir. Pour retrouver la liberté, m’échapper de cette prison de sens dans laquelle je peinais à me trouver moi. J’aurais voulu m’enfuir, mais je restais immobile, attendant que le réveil sonne. Comme tous les matins.