La biographie et la mort du roman

Publié le 15 février 2012 par Paumadou

Il y a quelques temps, je ne sais plus quel site (je l’ai retrouvé, c’est ici sur BibliObs) prédit la mort des romans, surtout pour ce qui est des « romans » de la rentrée qui abandonnent clairement la fiction pour entrer dans le (banal ?) quotidien des auteurs ou dans la romance biographique.

Je m’en fiche un peu, oui, les auteurs sont à court d’inspiration et préfèrent le basique et le concret de leur vie et de leurs sentiments (ou ceux de personnages existants avec des ressemblances voulues) à l’invention et la réflexion sur des faits et des personnages imaginaires. Tant pis pour eux.

Le phénomène ne me fait à vrai dire ni chaud ni froid : ces « romans » ne me transcendent pas, j’y trouve peu d’intérêt en fait. L’intérêt de l’auteur est aussi de créer de toutes pièces une oeuvre.

Bref, je ne reviens pas sur cet article qui est assez juste au fond, pour aborder un autre point de vue, celui de la biographie.

En ce moment, j’écoute les cours de Roland Recht au Collège de France : Regarder l’art, en écrire l’histoire.

Le cours du 11 décembre 2009 (ce n’est pas récent et pourtant toujours d’actualité) parle justement de la biographie comme genre littéraire (ben oui, y’a pas que la peinture et l’architecture dans l’art… et même si on parle là de biographies d’artistes, la réflexion est particulièrement pertinente)

Voici donc le texte retranscrit (vers 40min) :

La Biographie comme genre

En réalité, le concept lui-même de biographie ne devient vraiment populaire qu’à partir du 17ème siècle, et on peut dire que, bien sûr, toute biographie, récit d’une vie, est une fiction. Il n’y a personne pour imaginer ou pour prétendre qu’une biographie serait un récit objectif de ce qui s’est passé dans la vie de quelqu’un. L’idée même d’une biographie, c’est à dire l’idée de prendre pour axe principal d’un récit historique, la vie d’un individu est en elle-même déjà une fiction.
L’idée de la biographie est liée, évidemment, à la conception de l’individualité, en fait le récit d’une vie doit apparaître comme exemplaire : soit parce qu’il est imitable, il doit être imité, ou soit, au contraire, parce qu’il est non recommandable.

On s’aperçoit d’ailleurs que la biographie est un genre littéraire particulièrement fréquent dans les périodes de crise. Je prendrais un exemple peut-être connu de tous, je peux prendre l’époque contemporaine : regardez le nombre de biographiques qui peuvent paraître que ce soit sur des acteurs célèbres, que ce soit sur des hommes politiques, que ce soit sur des personnages historiques, et je dirais même, le nombre d’autobiographies ou le nombre d’oeuvres littéraires qui paraissent aujourd’hui, qui sont en fait des autobiographies ou qui partent de récits autobiographiques d’écrivains ou d’artistes. On peut dire que, peut-être, si le genre est si fréquent dans les périodes de crises, c’est parce qu’il constitue aussi une façon d’échapper à la conscience de l’histoire, de se replier peut-être sur son moi intime, et de considérer ce moi intime comme le véritable centre, et le seul centre à partir duquel le monde et le temps peuvent être considérés. Ce goût pour la biographie, je crois, est aussi une façon de revendiquer une subjectivité non critique, non analytique.

Voilà qui est dit : la volonté biographique est une volonté quelque peu narcissique et surtout un manque de critique et d’analyse (à part d’auto-analyse psychanalytique – la psy, c’est pas une chose que j’apprécie car justement c’est de l’auto-centrement avec le rejet des fautes sur autrui – la mère, l’enfance, le jouet qu’on vous a piqué à trois ans…, bref, la psy et moi on sera jamais amie je crois)

En quoi peut-on changer le monde, les mentalités, la vision des lecteurs si on se concentre sur ce qui est finalement de l’onanisme intellectuel ? La plupart du temps, une resucée d’une vie qui n’est ni exemplaire (au sens de Recht, tiens), ni même passionnante… La qualité littéraire est même assez lamentable dans beaucoup de cas
On ne fait pas de petits en se masturbant seul dans son coin, désolée de vous l’apprendre (en plus, la psy en aurait des choses à dire là-dessus ) Alors que donner l’exemple serait au contraire bouger un peu les choses ou au moins à avoir un but vis à vis du lecteur, donc ne pas répéter ce que la vie est, mais imaginer ce qu’elle pourrait être. Quel but peut-il y avoir a étaler sa vie, à la vendre comme « roman », si ce n’est gagner de l’argent sur un nom ?

Je vous invite à écouter le cours en entier (la totalité des enregistrements sont là, gratuitement et légalement téléchargeable) qui est très abordable, même sans connaissance artistique ! (c’est le principe du Collège de France)