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12 février / Tête de gondole - partie 1/4

Publié le 12 février 2012 par Blackout @blackoutedition
12 février Tête de gondole - partie 1/4 Marie-Pierre est caissière en chef à Lidl Price Market. Depuis vingt ans. Elle est la seule CDI de la boîte, elle en est fière. C'est elle qui au micro appelle les caissières en renfort "Marie-Paule, vous êtes demandée caisse quatre, Marie-Paule." Marie-Pierre fait les deux huit en alternance avec Marie-Andrée. Le nombre de Marie peut vous impressionner mais le patron est de l'Opus Dei, il fait du délit de nomine mais est couvert par la hiérarchie. Aussi tous les hommes portent des noms d'apôtres et le DRH s'appelle Jésus. -Vous pouvez y aller ma raie est fraîche ! En passant les articles devant le lecteur de code barre Marie-Pierre se sent diminuée et se souvient du temps où elle était employée au rayon poissonnerie. Elle discutait fraîcheur des ouïes, mois en "r" et temps de cuisson avec les clientes, qui prenaient le temps, le vendredi d'après, de la féliciter sur le choix des moules, leurs amis s'étaient régalés de la mouclade. Aujourd'hui le métier est comme peau de chagrin et bientôt ce seront les clientes qui passeront leurs articles toutes seules dans le lecteur, le magasin sera aussi vide d'employées qu'une station de métro. En attendant, aujourd'hui, c'est séance de chronométrage, les jeunes ces connes se lancent à corps perdu dans une danse effrénée, ne se rendant même pas compte que c'est pour les virer… Elle rentre chez elle, fourbue, elle a bien carotté une boîte de sardines à l'huile d'olives mais c'est là une piètre revanche. Elle les mange à même la boîte, suce le fond avec du pain, boit un verre de lait et se plonge dans son passe-temps favori : Maupassant. En ce temps-là, ils prenaient le temps de vivre. Certes les domestiques étaient souvent maltraitées mais les bourgeois et les bourgeoises nageaient dans des fanfreluches de soie et des bottes en cuir de Russie, passaient du temps en agapes somptueuses et troussaient les bonniches, qui se laissaient un peu faire, espérant se faire une place dans un rang plus élevé. Assise depuis huit heures, dos aux courants d'air, Marie-Pierre se navre de voir les pauvres gens remplir leurs caddies d'inepties chères. Des plats cuisinés surgelés gavés d'amidon modifié qu'elles passeront au micro-onde pour ne pas louper les z'amours. Une bécasse raconte qu'un jour, distraite, elle a passé le chat dans le bazar, et elle s'en vante. La vraie pauvreté, c'est le courant d'air dans la tête. Des pommes du Chili alors que le pays en regorge, des chocolats dégueulasses pour que le gosse cesse de brailler, cela fera soixante-quinze euros, j'ai pas assez, on enlève quelque chose, le lait ? le riz ? Pas plutôt les Kinder Bueno ? Que c'est infâme et un poison pour les dents ? Vous voulez ma mort ! enlevez les fruits, les gosses aiment pas ça ! De la purée en poudre, alors qu'elles n'ont rien d'autre à faire que de peler des patates… Marie-Pierre avoue acheter de la purée en poudre parce qu'en rentrant le soir elle est crevée, mais elle fait sa soupe elle même depuis qu'elle a lu la composition des soupes lyophilisées. Assise sur sa chaise depuis huit heures en plein courant d'air, les heures durent des siècles. Elle ne fume pas donc elle n'a pas droit à la pause. Ah ! le progrès ! A midi elle choure une pomme et du saucisson, la chef des chefs la laisse faire, la pauvre, elle s'assied sur le terre-plein en friche qui sert de parking et dévore sa reinette du Canada et croque dans son saucisson d'Ardèche. En même temps elle dévore Maupassant, les nouvelles sont à son rythme et les personnages la fascinent. Elle a bien essayé de faire partager sa manie, mais les collègues ne jurent que par la Nintendo. A suivre... Demain !

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