«Je suis d'un autre pays que le vôtre, d'un autre quartier, d'une autre solitude. Je m'invente aujourd'hui des chemins de
traverse. Je ne suis plus de chez vous» Ainsi commence ce merveilleux texte de Léo Ferré: La solitude, et comme il le disait si bien: «se tient dans mon
froc!»
Aujourd'hui en écoutant la radio, une histoire d'aujourd'hui, de solitude. Cet homme de 78 ans mort depuis 3 ans dans son appartement et seulement découvert ce matin... Un immeuble de 8 étages, à Strasbourg. La voisine de palier entendait la radio jouer jour et nuit depuis 15 jours, elle frappa à la porte, puis appela les pompiers, qui découvrirent un cadavre momifié vieux de 3 ans. La radio avait été mise en marche, on suppose, par un pigeon entré par une fenêtre, qui avait marché sur le poste,et ainsi le faisant jouer. Un voisin interviewé dit qu'il vivait là depuis 28 ans et ne connaissait personne, même pas ses voisins d'à coté ; alors, ce petit vieux mort tout seul...
Le même jour. Un homme simple, presque simplet, né en 1911, sourd, cantonnier de la ville de paris, mort en 1976 connaît enfin une vraie consécration. Cet homme Marcel Storr, un comme disent les historiens de l'art, - un créateur de l'Art Brut – C'est certain, car Marcel, illettré s'était crée son univers fait de cathédrales, et à la fin de citées futuristes allégoriques, ressemblant pour moi à du grand Gaudi Barcelonais mais encore plus halluciné. Tout ça exécuté en complète clandestinité, entre 1930 et 1976, sauf, sa femme, concierge qui cachait ses dessins sous la toile cirée de la table à manger. Sa femme, était morte un peu avant lui, Marcel Storr fut interné, puis emporté par un cancer. Heureusement une femme, Liliane Kempf, responsable d’une association de parents d’élèves, découvre par hasard les dessins et s'intéresse à l’œuvre de ce génie totalement méconnu. 35 plus tard, si vous vivez à Paris allez voir l'expo de ces 60 dessins, au pavillon carré de Baudouin. L'expo s’appelle Marcel Storr bâtisseur visionnaire.
Pourquoi ces deux histoires ?
La solitude. Notre frayeur à tous de partir, de faire le grand saut sans avoir un être aimé qui vous tient la main, qui vous regarde, qui capte votre dernière vision de ce monde, qui sent votre dernier souffle.
Ces deux hommes sont parti de la même manière, seuls, abandonnés de tous, par leurs frères, les humains.
L'homme de Strasbourg, à qui la postérité, car la radio ne mentionna pas son nom, est parti pour son grand voyage il y a 3 ans, il n'y a plus rien de lui ; et pourtant il a dû aimer, être aimé, être jeune plein d'allant, des rêves, des projets... Une certaine vie pourtant lui survivait ; son loyer, ses factures étaient prélevées automatiquement de son compte, sa retraite y a arrivait ponctuellement. Cet homme délaissé par ses semblables et mort seul continua donc, post-mortem à exister.
Quant à Marcel Storr, qui toute sa vie fut un taciturne, et eu à craindre de ses semblables, car enfant de la Dass maltraité, il sut avec sa force intérieure aller au delà de tout et créer un monde très personnel, cohérent, particulier, ou la pierre et le végétal s’entrelacent et s'envolent vers le ciel. Personnellement ça m'a sauté au visage ce matin, je suis encore tout raide de la force de ces dessins, merci pour l’article sur Rue 89. Ne disait il pas à Madame Kempf lorsqu'elle lui demandait le sens de ses dessins des villes:
«QuandParis sera détruit par la bombe atomique, le Président des Etats-Unis viendra me voir et on pourra tout reconstruire avec mes dessins.»
«Le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l'appellerons "bonheur", les mots que vous employez n'étant plus "les mots" mais une sorte de conduit à travers lesquels les analphabètes se font bonne conscience. Mais...
La solitude.. »
(Léo Ferré, La solitude)
Georges Zeter/Février 2012
Crédits photos : Merci à Liliane Kempf et son mari, les ayants droit de Marcel Storr.
Photo de Marcel Storr sur www.toutpourlesfemmes.com
A lire le livre de Françoise Cloarec - Storr, architecte de l’ailleurs paru aux éditions Phébus en octobre 2010. On lui doit aussi « la vie rêvée de Séraphine de Senlis ». Merci à elle.
Ps : il y a eux une première expo en 2001/2002