Comment j’ai raté ma campagne

Publié le 17 février 2012 par Zegatt

« Recherchez la profondeur des choses : l’ironie ne descend jamais si loin. »
- Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète -

Comment j’ai raté ma campagne

Comme de nombreux Français mercredi soir, j’ai eu l’occasion de voir à la télévision une pièce de théâtre.

Deux acteurs à peine pour occuper la scène : un petit brun nerveux et une blonde qui semblait remplir les interstices de leur conversation, tout cela autour d’une intrigue dont la conclusion était connue d’avance. Et malgré cela, ils avaient réussi à réunir plusieurs millions de paires d’yeux le temps des quelques minutes de cet entretien.

Un entretien qui à bien y regarder alliait une touche d’ironie à un rien de comique grinçant. Mais alors me demandai-je, cette pièce de théâtre, quel en est l’auteur ? Songeant à son absurdité, je pensais dans un premier temps à Ionesco, ou Beckett.

Non, m’a-t-on répondu. Guignol.

Nicolas Sarkozy 2012

Et c’était sans compter sur l’affiche qui allait être publiée le lendemain ! car loin d’attirer les foules, je crains plutôt qu’elle ne les laisse dubitatives.

Allons bon ! Quand on est publicitaire et qu’on fait preuve d’un sens de l’imagination assez réduit pour se contenter de copier ses prédécesseurs, à quoi bon espérer en plus le faire intelligemment…

Valéry Giscard d’Estaing 1981

L’affiche de campagne du président sortant Nicolas Sarkozy est en effet un mélange entre celle de Valéry Giscard d’Estaing en 1981 et celle de François Mitterrand en 1988. Slogan de la première, mise en scène de la seconde. Sauf que…

Sauf que voilà : première ironie, le slogan de Sarkozy reprend celui de Giscard d’Estaing perdant la présidence, et propose pour le coup de remplacer l’article indéfini par un « LA » catégorique, personnifiant la France sous l’apparence de Nicolas Sarkozy – comme l’avait fait en son temps Mitterrand avec l’unité. Manque de bol, cette force française que veut incarner le candidat Sarkozy est en contradiction avec cette même France dont le président Sarkozy n’a cessé de répéter qu’elle était en crise…

Bien plus grave, la seconde ironie de cette affiche réside dans une mise en scène complètement incohérente. Il y a d’abord Nicolas Sarkozy lui-même, dont les contours et le visage respirent la retouche informatique sous tous les angles (en particulier au niveau de son œil gauche), comme s’il avait été découpé et collé à la va-vite sur un dépliant touristique aux couleurs azures. Et puis si l’on met cette affiche de campagne en vis-à-vis avec celle de François Mitterrand qui présente les mêmes schémas, on constate une force bien plus prononcée de la seconde.

Les raisons en sont multiples, à commencer par le choix d’un fond visuel uni chez le prédécesseur de Sarkozy quand ce dernier préfère rompre le bleu caraïbe par une étendue marine. Et survient du même coup un premier problème : en quoi la mer est-elle représentative de la France ? pour un peu, on se croirait en Angleterre ! ou, pour Sarkozy si souvent comparé à un Napoléon d’opérette, sur l’île de Sainte Hélène comme le disent quelques mauvaises langues… A l’inverse, le choix d’une vue du terroir, une vue terrestre, avait prouvé son efficacité, à la fois pour Mitterrand et pour Sarkozy (respectivement en 1981 et 2007), mais ce sera pour une autre fois.

Et puis, il y a l’angle de vue. En plaçant François Mitterrand presque de profil, en légère contre-plongée, cela renforce ses traits droits et durs (de son nez en particulier), surtout avec une lumière l’éclairant de face, avec « La France unie » dans la continuité de ses épaules, comme un prolongement faisant office de socle. Pour ce qui est de l’actuel président, Nicolas Sarkozy est vu de trois quart face, en légère plongée afin de pouvoir montrer aussi le sol (la mer pour le coup), ce qui rend son allure moins puissante… mais évite aussi de mettre son nez en valeur, nez qui – comme pour Mitterrand – n’a rien d’anodin. Enfin, le slogan vient lui barrer la vue de façon rectiligne par l’alignement des premières lettres de chaque mot. Du coup, même avec les lumières les plus douces qui soient et une étendue marine limpide, le candidat de l’affiche ne voit pas au-delà d’un slogan que sa propre position vient mettre à mal.

François Mitterrand 1988

Tout cela, bien sûr, va de paire avec la fameuse pièce de théâtre dont je vous parlais en entrée, et dans laquelle par un habile jeu de questions-réponses le petit nerveux répondait à la pin-up blonde qu’il était le capitaine d’un bateau, et qu’il n’allait pas laisser le bateau faire naufrage…

Ah, décidément ! quelle inspiration chez ces publicitaires ! Penser à une telle métaphore à peine un mois après le naufrage du Costa Concordia !

Au moins, le doute n’est pas permis en voyant cette affiche ; si nous ne faisons pas naufrage, c’est que nous allons droit dans le mur.

L T – 17/02/2012