Je rentre
Je suis en retard
déjà la ville
murmure ses lumières
à la rue.
Ils sont tous là
à m’attendre
l’air patient
mais je le vois bien
ils piaffent.
Le livre ouvre un œil
Il a l’air de rien
il me la joue indifférent
mais
en le prenant en main
je sens bien qu’il tremble...
La page s’ébroue
elle écrit en bleu
le grand V de la victoire
celui de la lumière
qui a vaincu
les ténèbres
les ombres
de la guerre
De vieilles pierres respirent
j’entends leurs soupirs de satisfaction
la paix
enfin
est là.
Victoire !
Une patte se pose sur l’image
elle se trouble
les pierres disparaissent
voilà que des trognes
étranges
sombres
se dessinent
se déploient
explosent littéralement
sur le bleu du ciel
à présent teinté de blanc
moutonneux
là, sur la page complice
Elles me rappellent
une gargouille,
croisée un soir d’hiver,
l’air rébarbatif
qui chassait le démon
aux abords du cimetière
à la pleine lune
Le livre se met à rire
les Esprits s’échauffent
voilà qu’une ombre
se projette devant la lune
c’est une marmotte
à cheval sur un balai
une « marmocière savoyarde»
pour être précise
Sur la terre
tout en bas
ont fleuri
la « marmocière » s’écrie :
« Jolie gentiane rouge avant que l’été ne soit mort
tu annonces ce que sera la neige aux hommes éveillés
parole de fleur vaut mieux que parole de savant
pour rêver. »
Ah les sorcières !
On les dit pleines de mauvaises pensées !
Médisance ! jalousie !
C’est si bon les mauvaises pensées
elles nous enchantent l’Esprit
affirment son indépendance
ce sont des compagnes secrètes et troubles
qui mettent du piment dans nos vies.
Tiens, si je roulais les r
Et si j’avais comme Dali
des moustaches dignes de ce nom
Je dirais :
« j’adorrrrrrrrrrrre ! »
Les Esprits se moquent :
« pffft ! Il avait des moustaches incapables de percevoir
autre chose que son ego. »
Je réponds :
« Oui, mais lui, il savait peindre ! »
Le livre s’en mêle
Il m’écrit, de sa plus belle écriture en pleins et déliés :
« Il y a du chat chez toi, Ada, je l’ai toujours pensé ! »
Je me demande bien ce qu’il insinue par là...
mais voilà qu’il poursuit en me citant Nietzsche...
C’est fort !
Un instant de méditation s’en suit
Nous gardons religieusement les yeux mi-clos
La philosophie, ça se déguste lentement.
Soudain le livre spasme
il se ferme
s’ouvre
hésite
il est en plein désarroi
Les esprits l’observent
l’air inquiet
ils savent le martyre de l’indécision
enfin il se décide
il nous offre l’image
étrange
d’un cheval cabré
prisonnier des glaces
dont les hennissements silencieux
déchirent l’air
Nous frissonnons
il fait très froid brusquement
il fait nuit noire
il est l’heure de se retirer
au chaud
Allez ! je tire les rideaux.
©Adamante